Antonin Baudry, Le chant du loup : analyse d’un film autour de la notion du secret

Etudiante atti­rée par Sciences Po et les Ins­ti­tuts d’Etudes Poli­tiques, Clé­mence Georges avoue elle-même à qui veut l’entendre que, alors même que Stan­ley Kubrick demeure son réa­li­sa­teur de pré­di­lec­tion, il lui semble pro­fi­table de s’ouvrir à de nou­velles pers­pec­tives de temps à autre, arrê­tant de regar­der Orange Méca­nique une énième fois. D’où cette pro­po­si­tion d’une mise en rela­tion du long-métrage Le chant du loup avec la notion de secret (les deux thé­ma­tiques de la ques­tion contem­po­raine du concours d’entrée à Sciences Po por­tant en 2020 sur : “Révo­lu­tions” et “Le Secret”)

Nothing is hid­den (“rien n’est caché”),
Nor­man Malcolm 

Réalisé par Anto­nin Bau­dry, Le Chant du Loup est un long-métrage fran­çais sorti en 2019. Ce film est l’un des pre­miers, si ce n’est le pre­mier, à construire son scé­na­rio autour de la marine natio­nale, et plus par­ti­cu­liè­re­ment à uti­li­ser des sous-marins nucléaires pour l’histoire prin­ci­pale. Ainsi, veillant à ce que le décor se rap­proche le plus pos­sible de la réa­lité, l’équipe de tour­nage a effec­tué à plu­sieurs reprises des séjours dans de vrais bâti­ments de l’Armée Fran­çaise et cer­taines scènes y ont donc été enre­gis­trées.
L’intrigue prin­ci­pale, elle, porte sur Chan­te­raide, un sous-marinier qui occupe le poste d’ “oreilles d’or” au sein de l’équipage, c’est-à-dire un spé­cia­liste de l’écoute des sons lorsque le bateau est en immer­sion dans les eaux pro­fondes : il s’agit donc pour lui de repé­rer d’éventuels dan­gers, tels que d’autres sous-marins par exemple.

Lors des pre­mières scènes du film, les mili­taires partent en mis­sion pour aller récu­pé­rer un com­mando fran­çais au large des côtes syriennes. Or tout ne se passe pas comme prévu : ils se font repé­rer et atta­quer par une fré­gate ira­nienne. Pen­dant que l’équipage fait tout son pos­sible pour se défendre, Chan­te­raide croit per­ce­voir un son dou­teux mais ne par­vient pas à l’identifier exac­te­ment : il pense avoir à faire à un sous-marin russe à quatre pales mais cela ne cor­res­pond à aucun navire alors offi­ciel­le­ment en acti­vité. Il finit donc par clas­ser le phé­no­mène sans suite, mais reste per­suadé que quelque chose d’anormal se pro­duit.
Lorsque la mis­sion se ter­mine et que les marins retrouvent la terre, Chan­te­raide se lance à la recherche de la vérité sur ce qu’il s’est passé. Il s’enfonce alors peu à peu dans un conflit majeur, qui le mène à décou­vrir une réa­lité plus sombre qu’il ne l’imaginait : celle d’une guerre nucléaire sous-marine sur le point d’éclater.

Les situa­tions pré­sen­tées dans ce film paraissent par­fois incon­ce­vables, mais plu­sieurs inter­views auprès de vrais sous-mariniers témoignent de la quasi-exactitude avec laquelle le film a été réa­lisé. Com­ment se fait-il, alors, qu’il soit dif­fi­cile d’y croire ? Pour­quoi est-il si com­pli­qué, pour nous, de conce­voir l’existence de telles armes, de tels conflits ?
Cela trouve prin­ci­pa­le­ment ses ori­gines dans le fait que ces his­toires soient tues. En effet, l’une des seules occa­sions de se rap­pro­cher du thème des guerres nucléaires ou des hos­ti­li­tés mari­times est la fic­tion. Jamais il n’est envi­sagé que cela puisse vrai­ment exis­ter, et lorsqu’on y réflé­chit, nous nous ren­dons compte que nous n’y connais­sons rien. Pour­quoi n’y a-t-il que très peu d’informations à ce sujet ? Pour­quoi vou­loir se ren­sei­gner pré­ci­sé­ment, en étant cer­tain de ne pas tom­ber dans l’illusion des block­bus­ters amé­ri­cains, est-il si délicat ?

Ces inter­ro­ga­tions reposent sur un prin­cipe : celui du secret. En effet, tout au long du film, la dimen­sion de l’énigmatique, du mys­té­rieux, de l’insaisissable occupe une place majeure. Cela ques­tionne donc non seule­ment le film, mais aussi la réa­lité, puisque l’un essaye tant bien que mal de repré­sen­ter l’autre (il s’agit déjà ici d’une REpré­sen­ta­tion…) : est-il tou­jours légi­time, de la part de l’Etat, de dis­si­mu­ler quelque infor­ma­tion aux popu­la­tions ?
Pour y répondre, il sera d’abord inté­res­sant de ques­tion­ner la notion de secret d’Etat, puis de confron­ter l’Homme au désir de connais­sance et au confort de l’ignorance et, enfin, de déli­mi­ter la fron­tière qui sépare le secret du men­songe et de l’illusion.

Démo­cra­tie, secret et trans­pa­rence
En pre­mier lieu, sous l’angle poli­tique, le déve­lop­pe­ment de la démo­cra­tie et des ses dif­fé­rents acteurs (diri­geants, armée, citoyens) change for­te­ment la donne puisque le peuple est alors sou­ve­rain. L’exigence du régime est donc d’informer la nation des affaires publiques. Tou­te­fois, cette vision se confronte au recours au secret qui est indis­pen­sable pour pro­té­ger cer­tains ren­sei­gne­ments qui pour­raient nuire à son bon fonc­tion­ne­ment. Le but d’une démo­cra­tie est donc de trou­ver un juste milieu entre secret et transparence.

Ce para­doxe est d’ailleurs for­mulé par Riche­lieu : “le secret est l’âme des affaires publiques”. Ce point de vue conforte ainsi la “rai­son d’Etat” comme “jus­ti­fi­ca­tion” à l’emploi du secret. Les ser­vices de ren­sei­gne­ment en sont alors les pre­miers acteurs. En effet, la CIA pour les Etats-Unis, le MI6 pour le Royaume-Uni ou la DGSE/DGSI pour la France repré­sentent tous trois la part mys­té­rieuse de la démo­cra­tie, dont la pro­tec­tion et la légi­ti­ma­tion se forment autour du “secret d’Etat”. Mais qu’est-ce véri­ta­ble­ment que cette expres­sion si sou­vent employée et qui pour­tant, ne nous parle pas ?

Ces termes signi­fient des infor­ma­tions dont la divul­ga­tion nui­rait aux inté­rêts de la nation. Ainsi, que cela soit pour la sécu­rité inté­rieure ou exté­rieure du pays, les popu­la­tions acceptent en grande majo­rité que tout ne leur soit pas révélé, conscientes du dan­ger et du risque que cela pour­rait entraî­ner. Au sein du film, les ser­vices de ren­sei­gne­ment ne sont pas par­ti­cu­liè­re­ment pré­sents, mais l’Armée, elle, y figure ; et contrai­re­ment à ce que cer­tains peuvent croire, elle est tout aussi garante du secret d’Etat que les admi­nis­tra­tions de sur­veillance.
En effet, les sous-marins que nous voyons à l’écran obéissent à cer­taines règles de confi­den­tia­lité envers l’Etat et donc le peuple, telle que l’interdiction de par­ta­ger leur posi­tion, afin de les pré­ser­ver de toute menace poten­tielle. C’est aussi le cas lorsque deux navires com­mu­niquent entre eux par des codes (cf. le pas­sage du film où l’on trans­met les codes de lan­ce­ment nucléaire au sous-marin lan­ceur de mis­siles), puisque l’on veut à tout prix pro­té­ger les direc­tives du gou­ver­ne­ment. Les mili­taires sont donc les défen­seurs de la patrie mais aussi ceux qui nous cachent cer­taines vérités.

Par ailleurs, il est légi­time de se deman­der pour­quoi est néces­saire l’utilisation du secret d’Etat, quitte à dis­si­mu­ler la réa­lité au peuple. Il semble que la réponse se divise en deux rai­sons dis­tinctes : se pro­té­ger des autres, mais aussi se pro­té­ger de soi (“soi” repre­nant ici l’Etat lui-même). Effec­ti­ve­ment, il paraît logique que cela serve à orga­ni­ser la sau­ve­garde de notre péren­nité. C’est donc pour cela qu’il n’existe pas seule­ment des sous-marins d’attaque, mais aussi des navires de dis­sua­sion ou de simple contrôle. L’Armée et par exten­sion l’Etat envi­sagent et déter­minent pour chaque inter­ven­tion le niveau de risque et, en fonc­tion de cela, appliquent le pro­to­cole adapté. Tout est orga­nisé, syn­chro­nisé, classé, de telle façon que rien n’est laissé au hasard, qu’aucun secret n’est dévoilé à leur insu, que toutes les véri­tés sont contrôlées.

Le ren­sei­gne­ment sur les autres pays est donc essen­tiel afin de s’en pro­té­ger en cas de force majeure. Il est donc inté­res­sant de noter que les armées de dif­fé­rents pays créent par­fois une cer­taine concur­rence, telle qu’entre les Etats-Unis et la France dans le film. En effet, la course au secret étant lan­cée, les Amé­ri­cains dis­si­mulent aux Fran­çais que le navire russe à quatre pales que Chan­te­raide a cru per­ce­voir lors de la mis­sion en Syrie était en réa­lité un sous-marin vendu par un Russe à des dji­ha­distes. Il s’avère donc que se pro­té­ger des autres accen­tue par­fois plus le dan­ger qu’il ne le dimi­nue.
De plus, en accep­tant le secret d’État, nous pou­vons aussi cher­cher à nous pro­té­ger de nous-mêmes. En tant que peuple d’une nation démo­cra­tique, il nous serait dif­fi­cile, d’un point de vue éthique, de consen­tir à et d’approuver cer­tains agis­se­ments ou méthodes de l’Armée (cela n’inclut pas ici le seul peuple fran­çais, mais l’ensemble des popu­la­tions évo­luant à la lumière démo­cra­tique dans le monde).

Nous vou­lons nous pro­té­ger de ce qu’il peut arri­ver sur le ter­rain, par peur de décou­vrir que notre Armée com­met des inhu­ma­ni­tés, et c’est en cela qu’existent les archives. En effet, le fait de pou­voir accé­der aux rap­ports de guerres une cin­quan­taine d’années mini­mum après que celles-ci aient eu lieu (cf. le pas­sage de la salle des archives du CIRA dans le film), met une dis­tance suf­fi­sante entre la res­pon­sa­bi­lité que l’on avait lors du conflit passé et l’incapacité pré­sente à chan­ger quelque chose.
Le secret d’État per­met donc de nous pré­ser­ver des actes que peuvent com­mettre nos armées ou nos ser­vices de ren­sei­gne­ment, et donc de sécu­ri­ser nos sta­tuts d’êtres moraux qui conservent leur intégrité.

La vérité ou le confort de l’ignorance ?
Ensuite, le film nous inter­roge aussi sur la posi­tion que prend l’Homme dans cette situa­tion : est-il avide de vérité ou préfère-t-il le confort de l’ignorance ? En pre­mier lieu, celui-ci est par nature un être pos­sé­dant le logos, soit la rai­son, le lan­gage, la pen­sée. Il est donc logique qu’il puisse cher­cher à connaître, c’est-à-dire à naître (nas­cere en latin) intel­lec­tuel­le­ment.
C’est ainsi, que dans le film, Chan­te­raide devine le mot de passe de l’ordinateur de son supé­rieur afin d’accéder à un réper­toire pro­tégé, lui per­met­tant de confir­mer son hypo­thèse, et donc de conti­nuer son enquête à la pour­suite de la vérité. On peut donc noter qu’il est prêt à tout, à bra­ver l’interdit mais sur­tout à dépas­ser le
sub­jec­tum, le sta­tut du simple avis sub­jec­tif, pour accé­der au vrai.

La réa­lité peut donc appa­raître comme la quête d’une vie, et cela est d’ailleurs lar­ge­ment repré­senté par « l’Allégorie de la Caverne » de Pla­ton dans La Répu­blique, VII. Le phi­lo­sophe  y décrit les hommes étant empri­son­nés dans une caverne, ne pou­vant voir que l’ombre d’images pro­je­tées sur les murs, n’entendant que le bruit loin­tain de la cité et ne sen­tant que l’odeur du feu qui brûle à plu­sieurs mètres de là. Ces der­niers sont alors sou­mis à des repré­sen­ta­tions du Soleil (figure de la réa­lité par le Beau, le Bien et le Bon) et à la doxa (l’opinion publique) : ils sont alors non seule­ment igno­rants, mais aussi igno­rants d’être igno­rants, soit dans l’illusion.
Cette ana­lyse se confronte d’ailleurs à celle de Socrate dans L’Apologie de Socrate de Pla­ton, qui dit : “la seule chose que je sais, c’est que je ne sais rien”. Le père de la phi­lo­so­phie est ici uni­que­ment dans l’ignorance et non dans l’illusion. Tou­te­fois, que l’Homme soit dans l’ignorance ou dans l’illusion, il cherche déses­pé­ré­ment à sor­tir de ces formes de mécon­nais­sance par la dia­lec­tique, qui est une méthode de rai­son­ne­ment qui consiste à ana­ly­ser la réa­lité en met­tant en évi­dence les contra­dic­tions de celle-ci et à s’efforcer de les dépasser.

Pour Pla­ton, cela se résume à la phi­lo­so­phie qui est le long che­min qui nous sort de la caverne et nous mène au monde intel­li­gible ; pour Des­cartes, cela se réa­lise par l’utilisation du doute, qui exclut toutes les véri­tés jusqu’alors acquises et qui ne peuvent être prou­vées. Ce der­nier déploiera notam­ment sa thèse dans les livres le Dis­cours sur la méthode (1637) et dans les Médi­ta­tions Méta­phy­siques (1641), dans les­quels il conclut qu’une seule vérité indu­bi­table demeure : celle que l’Homme existe, puisqu’il pense.
Or l’Homme est un être éter­nel­le­ment insa­tis­fait : il conti­nue donc tou­jours à s’interroger sur les formes de véri­tés col­lec­tives, com­munes, uni­ver­selles qui existent.

Le pro­ces­sus de dog­ma­ti­sa­tion de l’Histoire
En second lieu, il existe tout de même cer­taines démarches qui induisent sou­vent l’Homme en erreur, en le pous­sant à se confor­ter dans la vrai­sem­blance et non dans la véra­cité des faits. Celle sur laquelle nous nous pen­che­rons aujourd’hui est le pro­ces­sus de dog­ma­ti­sa­tion de l’Histoire.
De fait, durant son édu­ca­tion, un enfant apprend énor­mé­ment d’éléments, de don­nées, de notions, qu’il n’est pas encore apte à remettre en ques­tion. Le fait que cet appren­tis­sage (à petite échelle avec chaque pro­fes­seur mais aussi à grande échelle si l’on com­pare les pro­grammes sco­laires de chaque pays) soit sub­jec­tif est indé­niable : les enfants sont donc sou­mis à une cer­taine façon de pen­ser, sans pou­voir s’en défaire (seuls les lycéens com­mencent à réflé­chir à ce qu’on leur dit, et encore…). Cela entraîne un véri­table condi­tion­ne­ment des esprits, et même si cer­tains arrivent plus tard à s’en défaire, d’autres res­tent empê­trés dans cette optique (l’utilisation du mot “optique” est ici volon­taire car il se rap­porte à l’expérience sen­so­rielle, et non ration­nelle : on pousse les gens à voir et non à regar­der). Rap­pe­lons que l’une des matières dans les­quelles le “bacho­tage” est omni­pré­sent est l’histoire. Même si nous pou­vons concé­der que des dates soient justes, que des villes soient pla­cées cor­rec­te­ment sur une carte ou que les noms des géné­raux soient véri­fiés, il reste une majeure par­tie de sub­jec­ti­vité dans la dis­ci­pline. Nous pou­vons dès alors noter le choix d’étudier telle ou telle guerre, de qua­li­fier d’ ”héroïque” tel ou tel per­son­nage, de recon­naître ou non cer­tains faits. C’est ainsi qu’en Tur­quie, il est fort pro­bable que les jeunes gens n’apprennent pas le géno­cide armé­nien, tan­dis qu’en France s’est long­temps posée la ques­tion d’aborder ou non en détails l’histoire d’indépendance de ses colo­nies. Pour­quoi vou­loir gar­der secrètes ces infor­ma­tions ? Ne traduisent-elles pas par un cer­tain tabou en fin de compte ?

En réa­lité, le vrai pro­blème de cette sélec­tion de choses à apprendre est le fait qu’elle se fasse par les gou­ver­ne­ments, et qu’elle aille donc sou­vent dans le sens du pou­voir en place : il ne faut pas remettre en cause l’intégrité de la nation, le rôle évi­dem­ment valeu­reux qu’elle joue à chaque conflit, sa pro­bité abso­lue… Nous ne nous inter­ro­geons donc plus sur l’Histoire telle qu’elle nous est pré­sen­tée, et c’est ainsi que l’Homme s’enterre peu à peu dans un dogme sans fin.
Cela se retrouve tout au long du film avec les per­son­nages qui acceptent ce qu’on leur dit sans se deman­der si leurs supé­rieurs leur cachent quelque chose, mis à part Chan­te­raide qui veut et va cher­cher à dévoi­ler tous les secrets enfouis. Tou­te­fois, ce phé­no­mène est aussi pré­sent dans la rela­tion qui lie le spec­ta­teur à cette fic­tion. Arrivons-nous à remettre en ques­tion ce qui nous est mon­tré à l’écran ? Est-il pos­sible de dépas­ser le point de vue qui nous est imposé ? Dans le cas de ce long-métrage, plu­sieurs témoi­gnages de vrais sous-mariniers assurent que le film est plu­tôt objec­tif. Seule­ment, si cela n’avait pas été le cas, aurions-nous pu le remar­quer ? Et le film n’aurait-il donc pas servi de “petite” pro­pa­gande pour quoi que ce soit ?

Secret, men­songe et illu­sion
Enfin, il s’agit de s’interroger à pro­pos de la fron­tière qui sépare le secret du men­songe et de l’illusion. D’une part, il semble légi­time de se deman­der si le secret est un men­songe. Les deux termes se rejoignent tout d’abord en plu­sieurs points : la volonté évi­dente de dis­si­mu­ler quelque chose et le carac­tère impor­tant de l’objet à cacher. Tou­te­fois, il est incon­tes­table que les deux se dis­tinguent aussi. En effet, un secret naît secret, vit secret et meurt secret, s’il n’est bien sûr pas dévoilé avant : il est indé­pen­dant.
Un men­songe, au contraire, n’est pas rat­ta­ché qu’à lui-même : il dépend de quelque chose d’autre. Pour résu­mer, un men­songe est la consé­quence d’un évè­ne­ment que l’on veut cacher, tan­dis que le secret est l’évènement à cacher : le fait de men­tir repré­sente donc une double implication.

Au sein du film, cela s’incarne peu, puisqu’en géné­ral, les offi­ciers n’ont pas besoin de men­tir aux sous-mariniers pour que ceux-ci acceptent, res­pectent et obéissent aux déci­sions. Par ailleurs, il est inté­res­sant de croi­ser les idées de secret et de men­songe avec celle de “pou­voir”. Toutes deux permettent-elles une conquête du pou­voir plus facile ? Les diri­geants font-ils du men­songe un usage fré­quent afin de gou­ver­ner ? la réponse paraît évi­dente pour les régimes non-démocratiques dans les­quels les lea­ders se servent du men­songe pour res­ter au pou­voir indé­fi­ni­ment. Cela peut notam­ment s’appuyer sur l’ouvrage Le Prince écrit par Machia­vel en 1532, dans lequel l’auteur explique com­ment deve­nir prince et le res­ter. Il y conseille alors par moments le secret voire le men­songe, pra­tiques jugées à l’époque bien trop immo­rales, contraires aux mœurs socié­tales.
La rela­tion entre mensonge/secret et pou­voir est donc éta­blie. Tou­te­fois, la ques­tion appli­quée aux régimes consi­dé­rés comme démo­cra­tiques se révèle beau­coup plus floue. il est évident que cer­taines choses nous sont dis­si­mu­lées (telles que celles pro­té­gées par le secret d’Etat, vu aupa­ra­vant), mais peut-on dire que l’on nous ment ? De plus, si secrets ou men­songes il y a, peut-on les cor­ré­ler au pré­texte du pouvoir ?

Cette inter­ro­ga­tion, ins­crite dans l’ère à laquelle nous vivons, prend tout son sens. Dans un pre­mier temps, avec l’épidémie du coro­na­vi­rus, de nom­breuses infor­ma­tions cir­culent conti­nuel­le­ment. Com­ment démê­ler le vrai du faux, le men­songe de la vérité ? Peut-on consi­dé­rer qu’en dis­si­mu­lant des infor­ma­tions, le gou­ver­ne­ment cherche for­cé­ment à conser­ver une “lon­gueur d’avance” sur le peuple et donc à gagner du pou­voir ?
Dans un second temps, la récente élec­tion pré­si­den­tielle amé­ri­caine fait éga­le­ment débat, et notam­ment autour du contenu des dis­cours et des tweets de Donald Trump, dans les­quels il uti­lise de façon récur­rente des infor­ma­tions dou­teuses. En refu­sant la vic­toire de son adver­saire par des mes­sages gor­gés de men­songes, n’essaye-t-il pas de conser­ver le pouvoir ?

Par ailleurs, il nous reste à nous inter­ro­ger sur la rela­tion qu’entretiennent le secret et l’illusion, qui signi­fie le fait d’ignorer qu’on ignore. Le film ne traite pas direc­te­ment de cette illu­sion même, mais le fait de regar­der le film peut, en revanche, ques­tion­ner cette notion. Effec­ti­ve­ment, alors que Socrate annonce que “la seule chose qu’il sait, c’est qu’il ne sait pas” et donc qu’il n’est, par consé­quent, pas retran­ché dans l’illusion, une bonne par­tie des spec­ta­teurs du Chant du loup se rendent compte que non seule­ment ils igno­raient le quo­ti­dien des sous-mariniers avant d’avoir fini le film, mais qu’en plus de cela, de par leurs pré­ju­gés et pré­sup­po­sés, ils igno­raient qu’ils igno­raient.
Ils prennent donc conscience de l’illusion dans laquelle ils étaient jusqu’alors plon­gés. Ce pro­ces­sus peut aussi être accen­tué lorsque cer­tains cinéastes “trompent” en quelque manière le spec­ta­teur, en abu­sant de la “caméra sub­jec­tive” au mon­tage par exemple (ce qui revient à impo­ser leur ver­sion, leur pen­sée, leur vérité). Il y a donc un véri­table lien entre le secret, avec lequel l’Etat garde des infor­ma­tions sur l’armée par exemple, et l’illusion, dans laquelle les popu­la­tions baignent la plu­part du temps pour des sujets tels quels.

De la néces­sité du secret
Afin de conclure, nous pou­vons affir­mer que même si cer­tains secrets ne paraissent par­fois pas légi­times de la part d’un Etat, ils sont tout de même néces­saires au bon fonc­tion­ne­ment des démo­cra­ties. Tou­te­fois, il reste impor­tant que les popu­la­tions sachent et puissent remettre en ques­tion ce que les diri­geants disent ou font, dans le but de s’élever “spi­ri­tuel­le­ment” et de créer un contre-pouvoir.
Enfin, il ne faut pas oublier que la fron­tière entre cer­tains termes, tels que “secret”, “men­songe” et “illu­sion” est par­fois mince et que cela implique donc une cer­taine rigueur à avoir lors de leur emploi. Désor­mais, nous pour­rions nous inter­ro­ger sur la thèse de Lud­wig Witt­gen­stein, qui affirme dans le Trac­ta­tus logico-philosophicus et par la suite dans les Recherches phi­lo­so­phiques que tout ce qui est pensé peut être dit, et donc que logi­que­ment, tout est révélé par le lan­gage, et par exten­sion qu’aucun secret véri­table n’existe. Son allé­ga­tion est alors reprise par son dis­ciple Nor­man Mal­colm qui pré­tend “Nothing is hid­den” dans un livre épo­nyme (“rien n’est caché”).

voir la bande-annonce

 Clé­mence Georges

Le Chant du Loup
De : Anto­nin Bau­dry
Avec : Fran­çois Civil, Omar Sy, Mathieu Kas­so­vitz
Genre :  Thril­ler, Guerre, Action
Durée :  1H56mn
Paru­tion : 20 février 2019

Synop­sis
Un jeune homme a le don rare de recon­naître chaque son qu’il entend. A bord d’un sous-marin nucléaire fran­çais, tout repose sur lui, l’Oreille d’Or. Réputé infaillible, il com­met pour­tant une erreur qui met l’équipage en dan­ger de mort. Il veut retrou­ver la confiance de ses cama­rades mais sa quête les entraîne dans une situa­tion encore plus dra­ma­tique. Dans le monde de la dis­sua­sion nucléaire et de la dés­in­for­ma­tion, ils se retrouvent tous pris au piège d’un engre­nage incontrôlable.

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