De la capacité de nuisance de l’être humain
Sous couvert d’un récit de science-fiction, en projetant leur propos dans l’espace et dans le futur, les scénaristes parlent bien de l’humain et de son comportement sur Terre.
Bien sûr, pour rendre leur histoire attractive, ils mettent en avant de l’action, de la tension, du suspense et les trois ne manquent pas.
Dans une navette détachée de L’Alma Mater, une arche de colonisation, l’équipage semble avoir perdu la raison. Seule Ellis est consciente du danger, ils vont s’écraser sur une planète. Le choc, dans un océan, fend la coque et l’habitacle se remplit. Revêtus de scaphandres, ils veulent gagner la surface. L’un d’eux, Miller, ne peut se dégager à temps quand l’épave implose. Ils sont alors entourés de sortes de pieuvres qui les aident à remonter. Elles ramènent même ce qui reste de Miller et le déposent sur la grève.
Ce qu’ils découvrent les stupéfie. Tout un groupe d’humains nus les accueille. Ils parlent la langue. Très vite, leur comportement singulier intrigue. Ils sont apathiques, avec un rythme de vie très structuré autour des fonctions essentielles comme la nourriture et le sommeil. Le reste du temps, ils assurent des taches sommaires au nom du Grand Tout.
Les rescapés cherchent un moyen de repartir. Entendant évoquer un autre peuple, ils veulent le rejoindre, espérant qu’il sera plus avancé technologiquement. Ils partent vite à sa recherche quand ils découvrent que ceux qui les ont accueillis sont cannibales.
Mais un membre de l’équipage, soudain, se laisse séduire par ce mode de vie…
L’arrivée, sur une nouvelle planète, d’une équipe d’exploration est toujours l’occasion de la découverte de nouvelles sociétés avec des habitants très différents des humains tant dans la morphologie que dans l’organisation sociétale. Valérie Mangin et Denis Bajram prennent, avec ce récit, le parti d’une société humaine, de descendants, semble-t-il, d’une lointaine mission d’exploration qui a mal tourné. Mais, foin d’avancées technologiques, ils proposent des groupes atones soumis à des taches simplistes et répétitives pour satisfaire une entité, un être supérieur. Celui-ci impose comme mantra qu’il faut être utile pour être aimé par les protecteurs.
Les auteurs proposent une magnifique histoire à partir de la capacité de nuisance de l’être humain. Pour empêcher que cette capacité se développe, il faut soumettre l’individu d’une façon ou d’une autre. C’est la terreur imposée par des tyrans, la mainmise par des dictateurs des moyens de communication pour de bons lavages de cerveau, l’invention de religions, déistes ou non. Avec un sens aigu de l’ironie, les scénaristes donnent à un seul robot une liberté de pensée.
C’est à Thibaud de Rochebrune d’assurer le graphisme, un dessin aussi réaliste que possible tout en étant synthétique. Il organise une mise en pages dynamique. Des pleines pages superbes, des décors d’une belle inventivité, sont servis par des perspectives audacieuses. Les personnages sont bien campés, reconnaissables. Il n’hésite pas représenter des foules, des combats aux nombreux protagonistes avec un niveau de réalisme élevé.
Avec Inhumain, les auteurs offrent un album d’une grande beauté où, sous couvert d’aventures spatiales, ils amènent à une réflexion sur la nature humaine, sur le fonctionnement des sociétés et le libre arbitre.
serge perraud
Valérie Mangin & Denis Bajram (scénario), Thibaud de Rochebrune (dessin et couleur), Inhumain, Dupuis, Coll. “Aire libre”, octobre 2020, 104 p. – 24,95 €.