Nicolas Plantrou, Belem, le roman d’une aventure

Les mille et une vies du Belem

Belem est un nom qui fait rêver, por­tant à la fois le rêve et l’exotisme. Mais connaît-on bien l’histoire de ce bâti­ment plus que cen­te­naire, du cargo de Menier assu­rant le trans­port du cacao depuis le Bré­sil à l’actuel monu­ment his­to­rique flottant ?

C’est ce que se pro­pose de faire Nico­las Plan­trou, Pré­sident de la fon­da­tion Belem. L’histoire com­mence en 1895, et dès son pre­mier voyage, le navire est mar­qué par un incen­die qui manque de le détruire ; en 1902, il échappe de jus­tesse à l’éruption de la Mon­tagne Pelée. Il va ainsi tra­ver­ser les décen­nies, suc­ces­si­ve­ment trans­formé en yacht de luxe par le duc de West­mins­ter puis par le baron Guin­ness, et enfin en bateau-école par une fon­da­tion véni­tienne.
Aban­donné, il sera redé­cou­vert par le Dr. Gosse, qui réus­sira à convaincre la Caisse d’Épargne d’en être le mécène : aujourd’hui, le Belem assure la trans­mis­sion des savoirs de la marine mar­chande tra­di­tion­nelle à des mil­liers d’amateurs.

L’ouvrage se com­pose de dix-neuf cha­pitres nar­rant les grandes étapes de la vie du bâti­ment. Le pre­mier retrace la moder­nité des usines Menier, visi­tées par l’architecte naval nan­tais Crouan. Pour Gas­ton Menier, dont la famille a tou­jours tenu la tête de l’innovation, il s’agit de res­ter à la pointe du pro­grès : après l’invention du cho­co­lat comme ali­ment de plai­sir et non plus seule­ment comme apprêt pour des médi­ca­ments, après l’invention de la tablette, après la moder­ni­sa­tion de ses usines, il veut assu­rer la com­pé­ti­tion et accroître leur ren­de­ment : pour cela, il doit pou­voir trans­por­ter plus de cabosses de cacao ; et mal­gré l’ère de la vapeur en plein déve­lop­pe­ment, ce sera un voi­lier, notam­ment pour des ques­tions de capa­cité de fret.
Son pre­mier voyage sera mar­qué par le feu à bord, presque à l’arrivée ; il essuiera aussi le feu de la Mon­tagne Pelée en 1902, à deux reprises, avant d’effectuer sa der­nière tra­ver­sée com­mer­ciale en 1913, sup­planté par la vapeur.

Lorsque le duc de West­mins­ter le rachète, séduit par sa ligne, il est trans­formé en yacht de luxe en 1919, après presque cinq années de tra­vaux gênés par la guerre. En 1921, cepen­dant, trou­vant le bateau trop petit ( !) pour les besoins de repré­sen­ta­tion qu’il avait, il le reven­dra au bras­seur Guin­ness.
Fan­tôme II, nou­veau nom du bâti­ment, res­tera long­temps dans la famille, mais la mort du patriarche puis le nou­veau conflit mon­dial auront rai­son de son his­toire : il sera revendu en 1951 à l’armateur ita­lien Vit­to­rio Cini, per­son­na­lité influente de la Séré­nis­sime, qui le rebap­ti­sera Gior­gio Cini en l’honneur de son fils défunt, et l’affectera à l’école de navi­ga­tion qu’il venait de créer, comme bâti­ment d’instruction, après des modi­fi­ca­tions de struc­ture. Ainsi, de très nom­breux marins y appren­dront leur métier, au cours de croi­sières qui s’allongeront dans le temps de quinze jours à plus de trois mois, et qui assu­re­ront la célé­brité de ce bateau-école, aux­quels les Ita­liens étaient très attachés.

En 1970, le Dr. Luc-Olivier Gosse décou­vrira ce bâti­ment mis à la relé­ga­tion par l’institution, puis trans­féré aux Cara­bi­nieri dans les années sui­vantes. Ayant dépisté l’origine du bâti­ment, il le fera remar­quer par l’association pour la sau­ve­garde et la conser­va­tion des anciens navires fran­çais (ASCANF), puis la Caisse d’Épargne inter­vien­dra pour pro­po­ser un mécé­nat : le 17 sep­tembre 1979, le Belem fait son entrée triom­phale dans la rade de Brest, notam­ment escorté par L’Étoile et La Belle Poule.
Ini­tia­le­ment, les Caisses d’Épargne et la Marine devaient uti­li­ser conjoin­te­ment le bâti­ment, ser­vant d’école dans l’année, pour être mis à dis­po­si­tion en vue de croi­sières à la belle sai­son. Mais devant le coût exor­bi­tant de la réno­va­tion, la Marine se retira par­tiel­le­ment du projet.

Cepen­dant, à quai à Brest, le Belem res­tait invi­sible, en quelque sorte : l’idée vint de l’amener à Paris. En sep­tembre 1981, il était remor­qué jusqu’à Paris, tan­dis que sa mâture voya­geait par le train… Amarré face au Musée de la Marine, au bas de la Tour Eif­fel, il béné­fi­cia d’une réno­va­tion com­plète durant cinq ans, assu­rée par des béné­voles.
En 1985, il était prêt pour une tour­née des côtes bre­tonnes et nor­mandes, qui fut un grand suc­cès. Un voyage à New York serait une consé­cra­tion : le 4 juillet 1986, la Sta­tue de la Liberté allait fêter son cen­tième anni­ver­saire. L’accueil fait au Belem et la parade nau­tique mil­li­mé­trée res­tent dans l’histoire du bâtiment.

De même, après bien des tra­cas­se­ries admi­nis­tra­tives, il pren­dra part au jubilé de la reine Eli­za­beth en 2012, seul bâti­ment non bri­tan­nique convié à cet hon­neur. Bien d’autres ren­contres ani­me­ront la vie du Belem, et mon­tre­ront l’attachement des Fran­çais à ce bâti­ment, à la fois musée à quai et navire au long cours.
Des défis futurs l’attendent : la par­ti­ci­pa­tion en 2022 à l’aventure au bord du Spitz­berg, rap­pe­lant l’expédition Guin­ness, puis aux Jeux Olym­piques de 2024 ; une his­toire qui n’est pas près de s’éteindre.

lire un extrait

yann-loic andre

Nico­las Plan­trou, Belem, le roman d’une aven­ture, Le Rocher, Monaco, 2020 — 18,00 €.

 

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