lelitteraire.com propose de manière inédite à ses lecteurs ayant apprécié les billets “en marge” de Didier Ayres de découvrir chaque semaine une partie de son oeuvre théâtrale, H.P (Scènes de désespoir et de miracles)
avant-propos de l’auteur :
H.P. porte un regard sur l’institution psychiatrique. En 12 scènes on y retrouve l’essentiel des vrais moments d’un asile, des séquences véridiques de ce lieu de surveillance : les infirmiers, les patients, les thérapeutes, les familles, l’heure du thé dans l’après-midi, la nuit avec ou sans sommeil, la contention, les conversations entre les asilaires, etc. Ce qui ressort de cette plongée en milieu hospitalier, c’est la souffrance de tous et de chacun, douleur qui s’exprime soit par l’angoisse, soit par le rire.
C’est ce destin d’une communauté de vivants — comparables à des détenus — qui m’a poussé à imaginer cette pièce. La tension dramatique, tension d’êtres humains bousculés comme en une nef des fous, pour moi a fait théâtre (plus à mes yeux que la célébration d’un office religieux). Ce qui est sacré ici, c’est cette focale sur le fond de l’être. Ainsi, « le monde est un théâtre ».
didier ayres
lire la scène 1
Scène 2
Je suis descendue tout à l’heure, au milieu de la nuit, et j’ai marché comme une créatrice d’orages, comme si je rêvais ; je voyais la couleur céleste, les lumières témoins. Et cela, dans la nuit, dans l’ombre puissante.
Allez vous recoucher.
Je ne peux pas. J’ai peur.
Venez avec moi, nous allons boire une tasse de thé bien chaude.
Vous entendez ?
C’est le passage du train de nuit.
Dans la vallée de Lauterbrunnen ?
Non, pas si près de chez vous.
On peut interroger le silence, n’est-ce pas ? Le décor. Là il y a du blanc.
Eux aussi, ils sont enfermés, en un sens, vous savez. Et bientôt vous retournerez à Berne.
Oui, le sang. Comme dans le rêve d’Hamlet, dans les yeux des grandes créatrices.
Prenez, buvez.
C’est bien d’avoir de la liberté, n’est-ce pas ?
Que faisiez-vous avant votre hospitalisation ?
Je travaillais dans une équipe de marketing téléphonique et je faisais de la photographie. Puis, ils ont tout détruit.
Vous vous perdez, un peu, c’est cela ?
Vous n’êtes pas fatiguée ?
Non, je suis une infirmière de nuit, et j’ai l’habitude.
Quelle heure ?
3H40.
3 + 2, ou 13 + 46, ou 4 +1 égale 5.
Et votre famille ?
Oui, une mère, une sœur, un demi-frère et un oncle, malade, lui, des yeux, il ne voit plus rien, comme Hamlet.
C’est normal.