Adepte des pérégrinations subversives pour mises en pièce et situation critiques des médiums et de la société où ils vivent et parfois végètent, Fabienne Radi reste une sémiologue situationniste à sa manière avec ses “Trente-deux récits à géométrie variable en rapport plus ou moins étroit avec les dents…”.
De la mâchoire du haut à celle du bas, et à travers les interstices du clavier de notre dentition, l’auteur se fait orthodontiste, même si chaque fois qu’elle écrit ce mot, ” je fais la même faute : j’écris orthodentiste — qui me paraît beaucoup plus logique — et tout de suite le correcteur de mon traitement de texte fait apparaître une petite vague rouge sous le mot”.
Pour autant, elle ne se veut ni redresseuse de dents ni d’une ligne générale de bon aloi.
Certes, “si on a les moyens, on peut redresser, aligner” les dents. Voire les “harmoniser leur forme, raviver leur teinte, les remplacer par de la porcelaine”. Mais, et quoique attentive à ses râteliers, l’auteure a mieux à faire.
Son livre convoque une performeuse anglaise, une nonne belge, un dentiste vaudois, l’Homme des glaces, Shelley Duvall, Peter Pan et Harry Dean Stanton pour traiter d’une partie singulière du corps mieux qu’en dentiste (pour les vivants) ou, si l’on est mort, pour les servir “aux inspecteurs de police et aux archéologues en indiquant l’âge approximatif du corps.”
Les dents comme la rappelle la créatrice se perdent parfois trop tôt. Ce qui n’empêche pas depuis plus de cinq cents ans à la Joconde de sourire “sans que l’on sache comment étaient ses dents, ni même si elle en avait vraiment”.
Quoique depuis moins longtemps, il en va de même avec l’actrice Julia Roberts : lorsqu’elle sourit “à en montrer tellement qu’on a l’impression qu’elle en possède deux fois plus que les autres gens.”
jean-paul gavard-perret
Fabienne Radi, Émail diamant, Art&fiction, coll. SushLarry, Lausanne, 2020, 156 p.