Voilà enfin un livre qui fait bouger les lignes. Certains diront qu’il manque de “littérature” mais ils ont tort. D’autant que tout commence pour les deux personnages du livre par l’extrait d’une lettre de Kafka à Milena.
Ce fragment crée un effet-force chez l’héroïne et permet à l’autre héros d’affirmer l’aspect fantomatique d’une relation où le virtuel devient centre d’aspiration. Et bien plus encore.
Et si le “spectral” est de mise sur le Net, l’auteur en analyses les arcanes. Dans ce livre Jean (aka JoeyXX) rencontre Fanny (aka LilyAsh) via un site de sexcam live, payant, où la seconde officie en tant que “cam-girl” au moment où son correspondant se veut moins client qu’anthropologue.
Mais les positions de départ masquent des profondeurs cachées, d’autant que Fanny n’est pas une simple machine à écrire des fantasmes. Et Jean lui permet de quitter son rôle, si bien que les deux commencent moins un jeu qu’une réflexion ou bien des choses surgissent.
L’amour garde une place apparemment centrale, néanmoins se substitue une réflexion sur un tel jeu et sur le métier de celle qui, peu à peu, laisse poindre une douleur.
Si bien qu’à la littérature placide fait place une liberté du discours là où les rôles des deux comparses se brouillent et s’échangent.
Fanny est une sorte d’ouvrière du sexe (à distance) et doit tenir son rôle devant l’écran où elle est sans cesse surveillée et manipulée par des chefs qui au besoin faussent les statistiques afin de la faire “marner” encore plus.
Elle accepte cependant son exploitation car ce boulot lui permet de gagner beaucoup plus que ce que d’autres ouvriers gagnent dans son pays (la Hongrie).
En dehors du simple récit ou de la fiction, le livre trouve sa cruauté et sa crudité dans des captures d’écran, des retranscriptions d’échanges privés et de citations qui figurent sur les “murs” des filles ou de la direction : « la création plus que le travail/l’engagement plus que le devoir » ose affirmer cette dernière.
De tels incipits montrent combien des données apparemment anodines créent un jeu pervers pour les consciences voire pour l’inconscient dont le politique et ses réseaux peuvent s’emparer.
jean-paul gavard-perret
Jean Gilbert, xx.com, éditions Questions Théoriques, 2020, 265 p. — 20,00 €.
Je m’appelle henry, et j’ai aussi une ecopine qui a 15 ans et j’ai été très touché par le livre !