Zefirino Gianlupino, trente-huit ans, est chiffonnier dans un bidonville du nord-est de Rome. Il est asservi depuis toujours aux dogmes maternels de Maria. Avec l’argent de l’assurance, après un accident de sa mère, ils achètent un superbe triporteur qu’un voisin un peu plus érudit baptise Polifemo en raison de son unique phare.
Parce que c’est plus rémunérateur, ils traquent les animaux errants et s’engage, pour ce faire, sur la rive du Tibre. Près d’un pont, Zefirino trouve une belle sacoche pleine qu’il rapporte à sa mère restée dans le triporteur. Elle contient une bombe qui… explose.
Pietrino Belonore est un jeune homme taciturne, discret, ne voulant faire montre du moindre sentiment. Mais là, il est bouleversé. Il a tout raté comme le lui reproche le chef du groupe Potere Rosso (Pouvoir rouge) dans l’église où il s’est réfugié. C’est en croisant le regard bleu d’une étudiante qu’il a ressenti une forte émotion. Il s’est débarrassé de la bombe qui devait tuer un diplomate américain et donner le signal d’une lutte sans merci contre l’impérialisme américain.
Zefirino est orphelin, sa mère s’étant volatilisée dans l’explosion. Celle-ci a détruit le véhicule dont il ne reste que le phare. Un tract, taché de sang lui donne les assassins de sa mère. Il décide de la venger…
Pietrino est devenu un danger pour les auteurs de l’attentat. Mais celui-ci veut retrouver la Madone qu’il a entrevue, dont il est immédiatement tombé amoureux…
Quatrième volet de la saga Belonore, ce roman se déroule à Rome en mai 1967. C’est une période déjà riche en événements mais qui préfigure de gros bouleversements et les années de plomb de l’ère des Brigades rouges (Brigate Rosse). Cette organisation terroriste d’extrême-gauche verra le jour le 20 octobre 1970. Aldo Moro est au gouvernement et nombre de groupuscules d’obédience communiste grenouillent, voulant assurer qui l’avènement du pouvoir du prolétariat, qui combattre les Américains et leur trop forte présence en Italie.
C’est avec les péripéties autour de deux groupuscules communistes que le romancier articule une intrigue subtile, faisant des présentations fort différentes tant dans leur idéologie que dans leur type d’action. Il met en scène le peuple d’un bidonville et celui de la grande bourgeoisie, chacun vivant bien séparé.
Carrese structure ainsi un récit riche en rebondissements de tous genres avec une galerie de protagonistes de la plus belle eau. Le terme peut parfaitement s’appliquer car il propose quelques bijoux d’humanité, quelques joyaux remarquables d’homo sapiens sapiens.
Mais il dresse aussi de magnifiques portraits de femmes comme la logeuse de Pietrino ou la jeune danseuse de tango. Cette danse, si elle présente dans le titre, donne le tempo du récit. Il en fait la description des pas, des figures et de la philosophie qu’elle véhicule, citant quelques maîtres compositeurs de ce genre musical.
Parallèlement, l’auteur anime le parcours assez glorieux du père de Pietrino qui s’est enfui aux États-Unis et a changé d’identité, devenant un photographe qui compte dans le paysage artistique. Si le communisme s’installe en Italie, la guerre du Vietnam fait rage et influe, tant sur la politique que sur les libertés. Il est des événements, des situations qu’il ne faut pas montrer.
Outre les aspects historiques mis en avant avec l’ambiance qu’ils génèrent, Philippe Carrese donne un ton inimitable à son récit. Sa maîtrise de l’art du récit, son goût pour l’image tout à fait appropriée à la situation, au caractère ou aux faits décrits offrent un récit servi par un sens de l’humour peu commun. On se régale de ses réflexions, de sa verve, terme à prendre dans son sens le plus noble. Il brocarde joyeusement un art de vivre, une administration quelque peu défaillante et la grandiloquence de quelques personnes ayant acquis certaines miettes de pouvoir.
L’auteur propose un récit torrentueux, mélangeant allègrement les genres, faisant côtoyer l’espionnage, le terrorisme avec la comédie.
C’est un régal, le remède idéal contre la morosité. Sa lecture est une médication à prendre sans modération.
serge perraud
Philippe Carrese, Tango à la romaine, Éditions de l’aube, coll. “Mirkos”, juillet 2020, 344 p. – 14,00 €.