Friedrich Nietzsche, Correspondance, tome V (Janvier 1885 / Décembre 1886)

Irré­mé­diable solitude

Le tome V de la cor­res­pon­dance de Nietzsche per­met de pré­ci­ser sa situa­tion édi­to­riale et la ques­tion de la « com­mu­ni­ca­tion » de ses écrits au moment de la fin de la rédac­tion d’ Ainsi par­lait Zara­thous­tra. Le phi­lo­sophe est en recherche de réso­nance et de dis­ciples.
Ses livres — écrit-il — doivent “jouer le rôle d’hameçons (…) ou ils auront “man­qué leur vocation”.

En 1886, il estime que lorsque Aurore et Le Gai Savoir seront impri­més, “quelque chose d’essentiel aura été accom­pli pour faci­li­ter la com­pré­hen­sion de toute mon œuvre (et de ma per­sonne). Et, de fait, on com­pren­dra que quelqu’un qui se sera une fois “atta­ché” à moi ne pourra que pour­suivre, étape par étape, son che­min en ma com­pa­gnie ».
L’époque est donc  à l’espoir voire l’enthousiasme même si ça et là quelques doutes pointent.

Comme tou­jours, Nietzsche orga­nise sa vie - à Nice ou ailleurs —  “de façon très insu­laire”. Ce qui n’est pas tou­te­fois sans le contra­rier : “Il semble que la majo­rité de mes anciens amis et connais­sances ou bien ne veulent plus entendre par­ler de moi ou bien ne le peuvent pas – quoi qu’il en soit, ils se taisent.” Preuve que, mal­gré tout, la ques­tion de l’amitié reste cen­trale.
Pour l’illustrer, à l’époque il veut faire publier la fin de Zara­thous­tra “en 20 exem­plaires, pour moi et mes amis, et avec tout le degré de dis­cré­tion néces­saire”. Il y aura de fait 40 exem­plaires dis­tri­bués par Nietzsche.

Celui qui se défi­nit dans ce volume comme “poète-prophète” sait que ce livre sera son oeuvre majeure. Mais, au même moment, la santé du phi­lo­sophe est déjà mau­vaise : “de nom­breux et étranges accès de mélan­co­lie ont alourdi mon cœur, sans par­ler des mala­dies pro­pre­ment dites. Mes yeux vont de mal en pis.“
Mais lorsqu’il aura achevé le qua­trième livre d’Ainsi par­lait Zara­thous­tra, Nietzsche pré­voit de renon­cer à tout trai­tés et dis­cours : « Des trai­tés, je n’en écris pas : ils sont bons pour les ânes et les lec­teurs de revues : et des dis­cours, tout aussi peu”. Il demeure donc pru­dent. Tout en menant un che­min périlleux.

Il res­sent dès cette époque qu’il ne sera pas com­pris tout de suite : « Il est dif­fi­cile de savoir qui je suis : atten­dons 100 ans : peut-être y aura-t-il d’ici là un connais­seur génial des âmes qui exhu­mera Mon­sieur F. N. ? “.
Certes, la  cor­res­pon­dance ne rem­place pas la lec­ture de l’oeuvre mais per­met de mettre en exergue sa force et ses ambitions.

L’auteur pré­cise qu’il n’existe “jusqu’à pré­sent aucune preuve me per­met­tant de pen­ser qu’il pour­rait y avoir quelqu’un capable de devi­ner et de res­sen­tir à son tour l’état, la pas­sion d’où jaillit une telle manière de pen­ser”. La soli­tude est donc  là.
Et ce jusqu’à la fin où elle sera encore plus irré­mé­diable — sa soeur fai­sant bonne garde dans le petit vil­lage de Sils-Maria.

jean-paul gavard-perret

Frie­drich Nietzsche, Cor­res­pon­dance, tome V (Jan­vier 1885/Décembre 1886), trad. alle­mand Jean Lacoste, Gal­li­mard, mars 2019, 368 p. — 29,00 €.

Leave a Comment

Filed under Essais / Documents / Biographies

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>