Anna Kozlova, F 20

Une place au soleil

Après avoir publié des romans anglo­phones pour l’essentiel, les toutes jeunes édi­tions Sté­phane Mar­san ont fait paraître pour la ren­trée lit­té­raire 2019 leur pre­mier roman russe et, il faut bien le recon­naître, c’est une réus­site.
Pour­tant, le résumé de l’intrigue pour­rait paraître a priori dérou­tant : une famille dys­fonc­tion­nelle, deux sœurs dont l’une est bien­tôt diag­nos­ti­quée schi­zo­phrène. La seconde, You­lia, la nar­ra­trice, ne tarde pas à remar­quer les mêmes symp­tômes chez elle, ce qui la pousse à tout faire pour les dis­si­mu­ler afin d’avoir droit, elle aussi, à une vie digne de ce nom.

Il ne fau­drait pas se lais­ser inquié­ter par cette pré­sen­ta­tion. Certes, le roman peut être dur, impi­toyable même, mais ce qui en res­sort, ce n’est nul­le­ment une impres­sion de com­plai­sance dans le misé­ra­bi­lisme.
Au contraire, par-delà la cruauté et la cru­dité de cer­taines scènes (les expé­riences sexuelles de You­lia notam­ment), Anna Koz­lova a su peindre un féroce appé­tit de vivre, la lutte déses­pé­rée d’une jeune femme pour accé­der à une exis­tence qui se refuse à elle.

Il y a chez son héroïne un désir de vivre, un refus du des­tin qui l’apparentent à cer­taines héroïnes antiques. Et son apai­se­ment final n’apparaît pas pour autant comme un happy end arbi­traire (je ne dévoile rien, la nar­ra­tion à la pre­mière per­sonne lais­sant de toute façon entendre que You­lia est tou­jours vivante).
Au contraire, celle-ci res­semble davan­tage à une sorte de sagesse désa­bu­sée, la por­tion congrue et inalié­nable qui reste entre les mains d’un indi­vidu quand il a réussi à se débar­ras­ser de toute illusion.

Dans ce contexte, il me semble vain de cher­cher à savoir si les symp­tômes de You­lia sont conformes ou non à ceux d’une véri­table schi­zo­phré­nie, car l’objet du roman est plus exis­ten­tiel que médi­cal. J’en veux pour der­nière preuve l’humour et l’irone féroces de F 20, qui appa­raissent ici comme autant de bra­vades lan­cées à la face du des­tin.
F 20 est à mon sens un roman remar­quable, écrit dans une langue fluide et dyna­mique, un texte où la vie pal­pite sous la misère, où la volonté farouche (l’instinct de sur­vie ?) triomphe dans l’acceptation de la soli­tude et le renon­ce­ment aux illusions.

Une auteure à suivre à tout prix, dont on pourra lire l’entretien  ici.

agathe de lastyns

Anna Koz­lova, F 20, tra­duit du russe par Raphaëlle Pache, Sté­phane Mar­san, sep­tembre 2019, 215 p. – 18,00 €.

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