Nicole Hardouin, Prométhée, nuits et chimères

Les iris noirs de Nicole Hardouin

Il faut se méfier des portes du songe qu’ouvre Nicole Har­douin. Sous le mytho­lo­gique, le réel veille. La poé­sie prend appui sur Pro­mé­thée à la clarté char­nelle et dans un céré­mo­nial presque païen. Tan­dis que des sœurs se mêlent aux gitanes, Lilith n’est jamais loin. Un dieu grec lui pro­met des plai­sirs de la chair. Plai­sirs pro­vi­soires certes mais qui laissent bien des traces non seule­ment dans le gras mais dans le cœur et les mots.
L’irrationnel s’infiltre et caresse le corps par l’échancrure mêmes des prières sou­dain prises de doutes. Feu des chi­mères : tout est là. L’amour comme la lumière veulent croire au miracle. Du poème sur­gissent les troubles de la vision. La rai­son se fau­file mais se prend au jeu de l’imaginaire qui, sor­tant des che­mins appris, refuse de por­ter des croix. Le sens est non-sens. L’inverse est vrai aussi.

Ainsi chaque ani­mal humain devient  fan­tôme à la recherche d’un contact char­nel­le­ment mys­tique. Le mytho­lo­gique endosse le rôle d’intercesseur, d’ « orgas­mi­sa­teur » du quo­ti­dien. Il ouvre l’imperceptible che­min entre angoisse et extase. Mais lorsqu’on se réveille, et comme le rap­pelle la poé­tesse dans un inci­pit ter­mi­nal de Pes­soa, on se lève avec « des étoiles sur le visage » en sou­ve­nir de ce qui fut et ne fut pas.
Tout songe garde dans ce livre une réa­lité par­ti­cu­lière. Elle fait renon­cer aux peurs ances­trales. Et lorsque l’amour aura fini de sai­gner, ses échos pour­ront une fois de plus s’apprivoiser dans l’immense nuit où une insom­niaque rêveuse veille. Elle met dans un écrin les accords de chants des sirènes, elle écoute gémir les grands voi­liers, les radeaux conqué­rants puis grimpe dans sa Nef des fous.

Pour écrire, elle a volé le tri­dent de Nep­tune afin d’en faire son porte-plume. Il devient le cor­dage du pos­sible, et l’oiseau de vie. Les plombs fondent, le Pont des Sou­pirs se noie dans l’insolence de ses songes. Sa Lilith réclame un doge et un Casa­nova. Mais pas un Don Juan. Au flam­boie­ment des bûchers de sa mémoire, les oracles se taisent, les loups hurlent dans la sen­sua­lité et la foudre d’arpèges sau­vages.
Ce qui n’empêche pas qu’à chaque page la créa­trice garde des yeux d’algue, des che­veux d’écume. Elle écoute les secrets bleu-croche d’un cla­vier océan, elle aligne les vagues et cherche un soleil noir. Elle est vrai­ment Lilith, la conqué­rante, la sata­nique, la blanche, la noire. Entre souffle et soufre, ses mots de sel et de soie tremblent tan­dis que, dans les voiles d’un ciel pourpre, à la douane des chi­mères, passe sa propre ombre, soyeuse, volup­tueuse et corail des songes.

Lire notre entre­tien avec l’auteur

jean-paul gavard-perret

Nicole Har­douin, Pro­mé­thée, nuits et chi­mères, coll. Phoi­bos, Edi­tions de l’Atlantique, Saintes, 71 pages, 19 euros.

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