Une simple piqûre d’abeille a eu raison de César Orsini. Il venait d’avoir 74 ans et avait régné sur un empire planétaire de la drogue. Mais, dans l’édition de Corsica-Matin, seules deux colonnes en page 8 relatent le décès d’un estimé concitoyen, constate cet ex-policier devenu enquêteur privé. Celui-ci se rend chez un maire qui lui a demandé un rapport sur les activités de son neveu en arrêt maladie. Le rapport est si édifiant que l’édile lâche : Neulataccius.
Puis il rejoint Fabien Maestracci, un nationaliste avec qui il a noué des liens amicaux. Celui-ci est inquiet, son oncle de 86 ans a disparu depuis quatre jours. La police est venue, avec un chien, sans résultats. Alors qu’il cherche des indices dans la maison de l’oncle, son unique voisine lui raconte que le chien s’est arrêté devant le palazzu Angelini à la sortie du hameau. C’est dans un abri de jardin, au bout du parc, que l’ex-policier découvre les restes d’un cadavre. Vite identifié, il s’agit d’un voyou italien, là depuis une bonne quinzaine d’années.
C’est par la radio qu’il apprend la mort de Fabien, tué d’une balle dans le dos. À son enterrement, trois jours plus tard, il est approché par l’ex-patron de FLNC-Canal Opérationnel. Celui-ci lui demande de retrouver l’épouse de Fabien parce qu’elle est en danger. Très réticent à prendre cette affaire, il est appâté lorsque l’ex-patron lui assène : “…je peux aussi vous aider à comprendre ce qui est arrivé à la femme que vous aimiez.“
Le récit passe entièrement par le personnage principal qui reste anonyme, aucun nom ni prénom ne l’identifie. Cet enquêteur, rencontré dans le précèdent roman (Malamorte, JC Lattès — 2019), a perdu sa compagne partie sans explications il y a cinq ans. Depuis, il a sombré et picolé plus que de raison, ce qui a amené une mise au placard dans la police. Il a démissionné et il accomplit la seule chose qu’il sait faire, enquêter pour des affaires privées. Cependant, il n’en prend que pour encaisser assez d’argent afin de tenir une semaine ou deux, en fonction de sa consommation d’alcool.
Avec ce personnage perspicace, enquêteur de talent, le romancier renoue avec ces romans policiers du genre hard-boiled, ce roman noir popularisé après la seconde guerre mondiale où des détectives, privés ou non, faisaient une consommation immodérée d’alcools et de coups de poing. Autour de ce personnage, c’est la vision d’une Corse profonde qui surgit, la Corse non touristique, avec vue sur toutes les convulsions des quarante dernières années entre nationalistes et l’État français.
L’auteur place au sein de son intrigue toutes les liaisons dangereuses entre truands, nationalistes, barbouzes, la mouvance selon les partis politiques au pouvoir, quand l’île servait de base arrière aux mouvements mafieux et terroristes italiens. Il fait resurgir des situations, des protagonistes et leurs fantômes, les cortèges de tueries et de reniements.
Il brosse des portraits au cordeau, au vitriol. Il explicite ce qu’était le système corse et son équilibre et fait la description de la perte de l’âme des habitants face au crime organisé et aux financiers. Avec beaucoup d’humour, un style alerte, un ton truculent, vivant, qui rappellent celui du regretté Philippe Carrèse, il émaille son intrigue de multiples remarques, images, réflexions tans sociétales que locales. Il aborde des domaines très variés, des annotations qui peuvent passer inaperçues mais qui illustrent une connaissance approfondie des sujets évoqués.
Ainsi, quand il cite Napoléon Ier, il rappelle que celui-ci a bradé les Amériques. Il manie un humour sarcastique, souvent noir, parlant de l’interview d’un auteur du cru acharné à courir après un destin d’écrivain, une grève dont personne ne comprenait l’origine et les motivations… Il ne recule pas devant des descriptions brutales mais si évocatrices quand il raconte ce qui sort des sacs poubelles éventrés qui s’entassent à cause d’une grève, des scènes de passage à tabac…
Avec Banditi, Antoine Albertini monte la marche qui le fait accéder à un destin d’écrivain tant son roman est fort, prenant, documenté, son intrigue tendue et son héros si attachant par son humanité.
lire un extrait
serge perraud
Antoine Albertini, Banditi, JC Lattès, coll. “Grands romans français”, mars 2020, 384 p. – 20,00 €.
version numérique — 14,99 €.