Didier Ayres, Où est demain

Où est demain

image ci-dessus : John Skel­ton Snr (1923–2009), Wai­ting for the Fog to Clear, Dun­quin, County Kerry.

J’écris ces lignes parce que je connais mon tem­pé­ra­ment. Je me sais porté par ce qui vient, et sans doute par une idée de la mort. Pour finir, ce qui a été me semble au mieux une fic­tion, en tous les cas une chose abs­traite, un récit qui se trans­forme. Mon étan­tité se situe davan­tage dans ce qui peut adve­nir – et qui demeure tou­jours une hypo­thèse – en voyant dans le pré­sent une actua­li­sa­tion, une mise à jour.
Le pré­sent, seul exis­tant, ne se conçoit dans mon esprit que par cette part de lui qui s’invente, qui se tourne vers ailleurs, plus loin, vers une pré­vi­sion. Il per­met à demain de par­ve­nir. Ce sen­ti­ment est d’une telle force que je suis habité par ce qui finit par des­si­ner une conjec­ture, revue, res­sas­sée, recons­truite, reprise sans s’achever dans le jour sui­vant, dans l’après-midi nou­velle très souvent.

Je suis mobi­lisé par cette pers­pec­tive qui sans cesse se renou­velle, indé­fi­ni­ment. Vivre n’est rien d’autre.
Vivre ne vaut que parce qu’on doit vivre, et non pas de ce qui est pour tou­jours devenu.

Une pré­ci­sion au sujet de ce que j’ai tra­versé en guise de no future, et qui sub­siste comme une période idéo­lo­gique tout à fait fon­da­men­tale ; j’ajouterais que cette occlu­sion de demain, ne tombe pas dans l’abîme, mais au contraire recon­di­tionne le jour, l’après-midi qui doit reprendre. C’est avec cette brû­lure des vais­seaux du temps que le temps peut s’inventer.
Dire no future c’est ne pas vou­loir d’un temps comp­table, mais d’une durée neuve, que cette double épi­thète détruit pour recons­truire, y com­pris dans l’inquiétude et la mort – mais y a-t-il d’autre issue ?

Et si c’est, pour sûr, une sur­éva­lua­tion du pré­sent, ce qui arrive fait par­tie de cette archi­tec­ture, sorte d’aqueduc, de sur­plomb, d’excroissance archi­tec­tu­rale qui rendent pos­sible le des­tin, situent, orientent, condi­tionnent la des­ti­née, qui évi­dem­ment ne se conçoit que comme un ensemble de faits en pro­jec­tion. Se tenir devant cette demeure imma­té­rielle du temps, oblige à ce renou­vel­le­ment infini des après-midis, des cré­pus­cules que l’on envi­sage, que l’on espère.
Bien sûr, par essence, demain n’existe pas. Il n’est que pos­sible, attente. Aujourd’hui pro­fite d’ailleurs de cette impos­si­bi­lité, et qua­li­fie cet anéan­tis­se­ment, sans lequel tout serait immo­bile. Détruire le futur, cela rend neuf le futur, lui impose un rôle impé­rieux et supé­rieur, néces­saire, désiré.

Néan­moins, demain est une énigme. Je ne sais de quoi ou presque, com­ment l’après-midi vien­dra, com­ment il se fabrique. Peut-il en vérité se cir­cons­crire ? Il est contour sans bor­dures. Il est à peine forme, ou sinon, informe, infor­mel, déformé. Plas­tique. Par nature meuble, adap­table, sans chair, sans attache, sans mémoire.
Demain se trouve davan­tage comme sup­po­si­tion, qui se rap­porte sans cesse à de la pure absence. Mais vivre ne s’exhausse que par la contrainte d’un fatum. Une sorte de pré­pa­ra­tion à la mort, à ce qui sera quand on dis­pa­raît, ce qui sub­sis­tera, ce qui res­tera.
Fin du voyage trem­blant de cette jour­née, qui, déjà, se confond avec le crépuscule.

Didier Ayres

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