Variations sur le corps
image ci-dessus : Sweeney Todd — The Demon Barber of Fleet Street (Tim Burton, 2008)
Le corps n’est-il un mystère que pour moi ? Je ne sais pas. Mais il y a de grandes catégories où je le reconnais.
Par exemple en son monde de sensations, lequel oblige à une analyse empirique de ce que la chair ressent.
Dès lors, une certitude de ne connaître qu’elle, la chair, en un volume fermé et par un espace charnel dense et impénétrable à la conscience humaine.
Ces deux variations font du corps ce que l’on sait de lui, à la limite de son expérience, de son utilisation, voire de son utilité, et ce que l’on ne peut savoir, sa vraie nature, ce qui se cache à toute tentative de connaissance — par exemple les énigmatiques liaisons synaptiques : miracle ou chimie ?
Ce premier état morphologique est aussi sujet au hasard des perceptions qui le rendent, le mettent en valeur, le définissent. L’anatomie des réflexes nerveux, l’ordre de l’influx, la sollicitation énergétique, on n’en connaît pas toujours la source, quand la médecine elle-même se trouve en échec parfois, ou prête au miracle. Mais l’organisme conduit ici ou là à la connaissance.
Le plaisir, la souffrance, la satiété, le manque, l’inquiétude, le surcroît, l’étouffement, la convulsion, le système nerveux, veineux, digestif, le sang lui-même, ne sont-ils qu’une quête du vocabulaire pour tenter de cerner une chose sans limite, car enceint de limites confuses ? Car le sang, l’angoisse, le plaisir, fonctionnent peut-être d’abord comme symboles, et s’éloignent d’autant de la matérialité médicale, qui elle-même est sujette à une approche psychologique, et ainsi agitée par des notions de langage.
L’enveloppe anatomique pourrait de cette manière se penser comme un tremblement, un tintinnabulum, composée d’une nuit intérieure impérieuse et sans fin, obscurité du corps qui dépasse la connaissance empirique au profit d’une connaissance métaphysique, ou d’une réalité intellectuelle, ou encore d’une fabrication spirituelle.
Là où flotte la parole, où brille une lumière sans émanations, sans onde et sans particules, un monde absolument silencieux, sinon tremblant d’une parole intérieure, sans volume et presque magique, fabriquant une ténèbre purement captive, à la façon d’une prière.
C’est donc une bouffée chaude, corporéité nourrissante et nourrie, à la fois dedans et au-dehors, forme et bords de soi, la peau comme contenant, et les secrets parmi les atomes et le cruor, qui saturent une absence, une pure immobilité presque sans langage, un corps ressenti comme coupe, coupelle, pleine d’un vin nocturne.
Didier Ayres