Une comédie audacieuse bien tournée…
Qui, mieux qu’une femme peut parler de la sexualité, des fantasmes et des stimuli d’une femme ? On a trop souvent, sur ce sujet, le point de vue masculin, un point de vue obligatoirement faussé dans la mesure où un homme est bien incapable d’exprimer ce que peut ressentir une dame sexuellement excitée ou ce qui lui plaît d’imaginer pour l’être.
Aussi quand un trio de dames se réunit pour lever le voile sur la libido de la moitié de l’humanité, il faut s’y intéresser vivement.
Daphné est tirée d’un profond sommeil par la sonnerie de son Smartphone, un réveil bien difficile. Elle se traîne vers la salle de bains, jette un cachet de Doli Crâne dans un verre et jure, en prenant sa douche, de plus jamais boire, plus jamais !
Elle rassemble ses souvenirs sur la soirée de la veille, les danses, la prise d’une drogue offerte par un mec. Elle sort de chez elle assez vaseuse. En passant près d’un arbre, elle voit, en lieu et place, un énorme sexe masculin en érection. La mémère à toutou interrogée ne comprend rien à ce que Daphné raconte et s’éloigne en la traitant de droguée.
Dans le bus, deux vieilles dames parlent de leurs douleurs d’arthrose dans les doigts. L’une d’elle explique qu’en faisant des exercices elle a moins mal. Daphné, effarée, les voit alors, jupes relevées, se caresser mutuellement la vulve, le clitoris. La barre verticale pour se tenir se change en une série de verges. Personne ne comprend son affolement, ce qu’elle tente d’expliquer.
Elle arrive en retard à la réunion sous les reproches de la responsable. Quand son voisin fait une remarque sur un des intervenants en le traitant de lèche-cul, Daphné assiste à un cunnilingus en règle dudit intervenant sur sa responsable. Les logos sur lesquels elle a travaillé se changent, sur ses feuilles de croquis, en vulves, verges, seins…
Quelle drogue a-t-elle pu avaler pour avoir de telles visions ?
Avec Daphné, une jeune femme célibataire qui tourne depuis plusieurs mois autour d’un mec, selon sa colocataire, la scénariste développe nombre de situations où elle confronte l’héroïne au sexe avec beaucoup d’humour. Car le ton général de l’album est joyeux même si Daphné vit des périodes de doutes quant à sa santé mentale.
Pourquoi cette peur, ce rejet face à une vulve découverte, une verge ? La vulve existe, plus de la moitié de l’humanité en est pourvue, presque quatre milliards de personnes. Pourquoi la cacher comme une chose honteuse ? Faut-il soi-même être dérangé pour trouver de l’obscénité à la vue d’un sexe ?
Au-delà de l’humour, du traitement cocasse qu’en fait la scénariste, il reste que les pensées qui peuvent être déclenchées par des stimuli sont fréquentes et souvent d’ordre sexuel. Clotilde Bruneau propose une histoire truculente, pleine de rebondissements, jouant avec des situations décalées, mais si drolatiques.
Isa Python assure un dessin semi-réaliste, avec un trait irrésistible et dynamique. Elle retranscrit toute la tonicité de ce récit. Elle dote ses personnages d’une expressivité allant parfois jusqu’à la caricature et soigne particulièrement l’enchaînement des actions, les dérapages visuels de l’héroïne et offre quelques double-pages à l’imagination débridée.
C’est Scarlett Smulkowski qui place une colorisation à base de teintes douces qui passent brutalement à intenses dans les situations de crise. Elle donne aux nombreuses chairs rencontrées dans l’album une tonalité séduisante.
Cet album est enrichi par une préface de Céline Tran, la directrice de la collection, d’une postface des autrices et d’un cahier graphique qui présente les esquisses et les recherches de la dessinatrice.
Mal Tournée ! est un album réjouissant, déculpabilisant le sexe, l’acte sexuel à travers le regard de trois autrices de grand talent.
serge perraud
Clotilde Bruneau (scénario), Isa Python (dessin) & Scarlett Smulkowski (mise en couleur), Mal tournée !, Glénat, coll. “Porn’Pop”, février 2020, 112 p. – 19,95 €.