Philippe Sollers est — entre autres — l’écrivain de métamorphoses littéraires et artistiques. Il n’est donc pas étonnant que dans sa constellation d’écrivains figure désormais Louis-Claude de Saint-Martin (1743–1803), dit « Le Philosophe Inconnu ».
Ce penseur français fut une figure centrale de l’Illuminisme européen. On lui doit deux livres principaux : L’Homme de Désir et Le Ministère de l’Homme-Esprit.
Selon Sollers, “Certains, contre toute évidence, prétendent qu’il n’est pas mort, et qu’il continue ses singulières activités révolutionnaires. Il aurait ainsi rencontré Rimbaud, et peut-être aussi, mais restons prudents, le narrateur de ce livre.“
Néanmoins, pour l’auteur ce n’est pas l’essentiel. Existent avant tout le souffle de ce philosophe et un appel à l’extravagance que le désir ne cesse de faire exploser par-delà sa pensée.
Pour le faire vivre, un imaginaire est en marche, traverse le temps et crée un tableau parfois cruel de notre époque dans une langue précieuse, souvent peu éloignée de celle d’un Maurice Scève. Sans doute parce que, pour les poètes philosophes de tous les temps, le regard et les mots sont plus “larges” que le réel.
Surtout lorsqu’ils se nomment Sade, L-Cl de Saint-Martin, Huysmans (première manière) ou Sollers lui-même. Ce dernier, à mesure qu’il vieillit, enfante l’air de grands oiseaux de désir. Ils ne cessent de briser les cieux de l’estuaire de Bordeaux, de la lagune de Venise ou des quais de Paris.
Cela était déjà patent dans son précédent roman “famillial”. Ici aussi, les merveilleux nuages emportent vers la communauté du désir et son énergie qui ne supporte plus de masques ou de parures — ce qui n’a pas été toujours le cas chez l’amoureux de Venise. En contrepoint à tout ce qui aujourd’hui le contraint, le désir reste ici à carburation libre.
Convulsif, il cherche les autres en les arrachant à la société ordinaire. Et le texte évoque une marginalité, rompt avec le monde. Ivre de sa liberté, il inverse le sacrifice. Tout en espoir et lutte, s’y crée ce qui invente la destruction d’une société annihilée et qui ploie sous l’avoir.
Il ne s’agit plus de se « calculer » mais de se donner. Et dans la communauté inavouable envisagée ici, il faut parler d’engagement pas d’obligation. La spontanéité existe mais elle est d’abord réfléchie.
Et si Sollers avait pu prévoir le moment où son roman allait être publié, il aurait ajouté que le désir parfois passe par son confinement pour qu’il ne soit pas sacrifié.
Dans le cas inverse, ce serait trahir la cause que l’auteur embrasse.
Pour le jaillissement du désir — en cas de pandémie et lorsque l’objet est loin — il faut savoir ne retenir pour un temps que son parfum “infini”.
feuilleter le livre
jean-paul gavard-perret
Philippe Sollers, Désir, Gallimard, coll. Blanche, 2020, 144 p. — 14,50 €.
Et si Sollers avait pu prévoir le moment où son roman allait être publié, il aurait ajouté que le désir parfois passe par son confinement pour qu’il ne soit pas sacrifié.
Dans le cas inverse, ce serait trahir la cause que l’auteur embrasse.
Pour le jaillissement du désir — en cas de pandémie et lorsque l’objet est loin — il faut savoir ne retenir pour un temps que son parfum “infini”.
Magistral ❣