Franck Bouysse, Oxymort

Et si cela vous arrivait…

Cela fait main­te­nant deux jours que Louis Forell est enfermé. Il s’est réveillé dans l’obscurité, cou­ché sur la terre bat­tue, menotté à une chaîne qui lui auto­rise de courts dépla­ce­ments.
Il ne com­prend rien à ce qui lui arrive. On lui glisse son repas pen­dant qu’il dort. Il cherche fébri­le­ment les rai­sons de son enfer­me­ment, à qui il le doit.

Pour ne pas som­brer, il repense à sa vie anté­rieure, à cette ren­contre avec Lilly, cette jeune femme qui est entrée dans son exis­tence pour son plus grand bon­heur. Son geô­lier joue avec lui. Il lui glisse des feuilles de papier pour qu’il conti­nue les quelques lignes déjà tra­cées. Louis ne com­prend pas ce qu’attend son ravis­seur.
À l’extérieur, Lilly s’inquiète de la brusque absence de son amant. À la police, on se décide à enquê­ter et c’est le com­man­dant Daniel Farque qui s’en charge. C’est un jeune homme qui a enlevé et a enfermé Louis.
Suzanne, une col­lègue du lycée, cherche aussi à savoir ce qu’est devenu Louis.

L’auteur décrit, avec minu­tie, les affres de son héros, son incom­pré­hen­sion, ses ten­ta­tives pour com­prendre ce qui a pu l’amener dans cette situa­tion, le pour­quoi de cette séques­tra­tion. Il est pro­fes­seur dans un lycée et ne se connaît pas d’ennemis.
Il détaille aussi l’exploration de son nou­veau domaine, son angoisse quant à son ave­nir, un ave­nir qu’il voit bien sombre avec pour seule issue la mort. Il raconte éga­le­ment les jeux per­vers du ravis­seur, sa volonté de ven­geance.
Mais il n’omet pas de for­mu­ler les moments de bon­heur, cet amour nais­sant qui lui ouvrait les portes d’un futur heu­reux avec une femme aimée, un amour par­tagé. Si la pre­mière par­tie est presque exclu­si­ve­ment consa­crée à Louis et à Lilly, la gale­rie des per­son­nages s’étoffe avec une col­lègue, le ravis­seur, le poli­cier et un amou­reux transi.

Franck Bouysse use d’un style tonique, de phrases courtes, voire très courtes, de rafales de mots qui cré­pitent comme sor­tis d’une mitraillette. Il intro­duit une cer­taine musi­ca­lité en citant des mor­ceaux de musique, des chan­sons, comme Strange Fruit, inter­pré­tée par Billie Holi­day.
Ce texte fort parle du lyn­chage des Noirs aux États-Unis. Les paroles sont très proches de celles du Ver­ger du roi Louis, écrit par Théo­dore de Ban­ville en 1866, mis en musique et chanté par Georges Bras­sens quelques décen­nies plus tard.
L’auteur  agré­mente son récit d’emprunts à la lit­té­ra­ture, au cinéma comme cette phrase pro­non­cée par Robert Duvall dans La nuit nous appar­tient : “Quand on pisse dans son froc, on n’a jamais chaud bien longtemps.”

Il ins­talle ainsi une atmo­sphère oppres­sante, une ten­sion vive qui sub­siste jusqu’à une conclu­sion bien par­ti­cu­lière. Le titre emprunte au terme oxy­more, bien connu des ama­teurs de la langue fran­çaise.
Avec les thèmes rela­tifs à l’enfermement, la dis­pa­ri­tion, la vie quo­ti­dienne d’individus ordi­naires qui voient leur exis­tence bas­cu­ler sou­dain dans un drame, Franck Bouysse pro­pose un roman âpre, dur mais qui se lit avec avidité.

serge per­raud

Franck Bouysse, Oxy­mort, J’ai Lu n° 12 777, mars 2020, 224 p. – 7, 20 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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