L’Herne — Giono

Le pes­si­miste joyeux

Dirigé par Agnès Cas­ti­glione et Mireille Sacotte, ce cahier per­met de  revi­si­ter l’oeuvre variée de Jean Giono, l’une des plus impor­tantes du XXème siècle. Cet ensemble rééva­lue l’image d’un grand écri­vain, encore trop sou­vent encom­bré de cli­chés, et célèbre le tra­vail du poète. Et ce, dans une fidé­lité à l’esprit des Cahiers de l’Herne construits sur inédits et introu­vables de l’auteur et sui­vis d’un impor­tant cor­pus cri­tique.
Celui qui connaît le suc­cès, dès la publi­ca­tion de Col­line, en 1929, com­pose avant 1939 d’amples romans lyriques et épiques : Regain, Le Chant du monde, Que ma joie demeure.  Son œuvre com­prend entre autres Le Hus­sard sur le toit, Un roi sans diver­tis­se­ment — peut-être son chef-d’oeuvre.

Soli­taire, inclas­sable, en marge de tous les cou­rants lit­té­raires  Giono s’est vu sou­vent sou­mis a bien des mal­en­ten­dus. Il finit son oeuvre dans des chro­niques pour “Le Dau­phiné Libéré” et reste un temps scan­da­leu­se­ment oublié. Néan­moins, cer­tains couacs sont enfin dis­si­pés et peu à peu l’oeuvre reprend tout son lustre.
Elle est abor­dée ici sous cer­tains angles par­fois impré­vus (Giono lec­teur de Machia­vel par exemple) et renaît de ses pré­ten­dues cendres. Corinne Von Kym­mel remet ainsi en relief le trai­te­ment du réel par le fic­tif chez l’auteur . “Il n’y a pas une miette de réa­lité objec­tive dans ce que j’écris. J’invente” écrit celui pour qui l’objectivité n’est qu’une vue de l’esprit.

Giono a opté pour des véri­tés que beau­coup ne vou­laient pas entendre. Il a su défor­mer le réel dans une sorte de sen­sua­lité et d’allégresse cos­mique et ce, sans jamais tri­cher. L’auteur pré­fère “jouer avec du jeu” : celui de la fic­tion plu­tôt que de biai­ser la réa­lité. Dans ce but, il n’a cessé d’imaginer encore et tou­jours dans des choix par­fois dif­fi­ciles qui ont pu entraî­ner des mal­en­ten­dus.
Mais Giono a su impo­ser une vérité par la lit­té­ra­ture. Et cet impor­tant cor­pus le sou­ligne. “Microbe têtu” comme cha­cun de nous, l’auteur déchif­fra les mys­tères de la Pro­vence et ceux de la pré­ten­due Pro­vi­dence — poli­tique entre autres à laquelle il dit son fait.

Le créa­teur est resté fidèle à sa vérité en sachant que “la richesse de l’homme est dans son coeur”. Et à ceux qui l’accusèrent d’être un mau­vais Fran­çais, il rap­pelle qu’il n’y a aucun inté­rêt à jouer les cocar­diers  : “la seule gloire est d’être vivant”. Le tout en sachant que tout le monde refuse d’affronter et de dire la vérité : “tout le monde ment, mais per­sonne ne dit : “je mens” ; tout le monde se réclame de la vérité, alors que dire “je mens” est la seule chose vraie que l’on puisse dire.“
En ce sens, il resta tant que faire se peut “un joyeux pes­si­miste”, incom­pris par­fois mais dont l’oeuvre a encore beau­coup à nous apprendre et nous montrer.

Ce Cahier l’illustre superbement.

jean-paul gavard-perret

L’Herne — Giono, col­lec­tif dirigé par Agnès Cas­ti­glione et Mireille Sacotte, Edi­tions de L’Herne, Paris, 2020, 288 p. — 33,00 €.

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