Mot d’ordre : se battre sur tous les fronts pour sauver la langue française des dangers qui la guettent
D’abord tes yeux…
Dans la langue classique, trésor (thesaurus) renvoie au dictionnaire. Les mots sont la richesse. La qualité d’une langue est la valeur d’une culture. Changer l’une, c’est altérer l’autre. La saccager. A l’horizon, une question : serons-nous les fossoyeurs de la culture dont nous venons, les piètres gardiens du trésor ?
Avant tout, l’auteur revient sur les velléités de réforme de l’orthographe, qu’il contribua à contrer dans les années 90 (héritiers d’une langue de feu, la brûlerons-nous ?). Dit autrement, le vain mais nécessaire combat se situe dans un soutien fort, fortement exprimé à tous ceux qui, de par le monde, veulent conserver l’attachement à leur langue. L’orthographe est le visage des mots.
Blua avance ensuite que ce sont les gens de culture qui bradent l’héritage, cassent le trésor. D’où l’outrage fait à la culture par le biais d’une nullité formatée dans des émissions dites de grande écoute. Vide sur vide.
O tempora, o mores : un chapitre débute par un à-valoir très élevé pour un écrivain médiocre. Les repères sont brouillés. Nous sommes bombardés de faux livres, assaillis par les escrocs qui vont jusqu’à saper les fondements de la culture, au prix même de la mort. En fait il s’agit seulement de savoir si l’on veut rester vivants.
Réflexion autour d’un naufrage, la deuxième partie s’ouvre sur un exergue de Gil Jouanard pour qui la grandeur pathétique de l’être humain est de faire des mots sa réalité. L’art de raisonner, avance Benjamin Constant, se réduit à une langue bien faite. Mais qui ne voit le pouvoir de la médiocrité ? L’abandon du trésor ?
De Bossuet (Notre langue se meurt, notre langue est mourante) à Zola (J’accuse), il s’agit d’éviter le désastre et la dérive. Là comme ailleurs, de choisir l’intelligence.
Très minoritaires sont ceux qui résistent. Exemple : l’une des toutes premières grandes écoles françaises tient colloque. Neuf des quinze participants sont français mais préféreront massacrer l’anglais plus que parler la langue du cru. Par un geste étonnant, mais légitime (au sens de “légitime défense”), plainte est déposée au commissariat le plus proche. Au revers, Yves Berger, amoureux fou de l’Amérique autant que de la langue française, énonce que son livre sur le pays aimé est certifié exempt d’anglicismes et d’américanismes. Exception qui confirme la règle.
Et c’est la langue qu’il convient de protéger. C’est elle qui conditionne la culture. Si ce verrou-là cède… De fait, et c’est le seul bémol, le pamphlet ou la charge exigent une rhétorique soignée. Défendue, la langue doit aussi être illustrée.
Si, très paradoxalement, la langue française est attaquée dès la couverture (on y lit sur l’écran un téléphone portable, une sorte de sabir électronique : Le franC è D6Dt 1 bel lang kes tan di ?), elle n’est pas si bien traitée que cela. Le livre est vite écrit, avec emportement. Peut-être parce qu’il y a urgence.
Y lira-t-on une limite du propos ? Sans doute pas, tant l’essentiel est clair : le pire est à moins d’un rien. Les relevés de terrain effectués à l’écoute de l’actualité sont éloquents.
Et c’est à une célébration de la langue que l’on assiste. La langue, autrement dit le fil conducteur de la finesse de la pensée, le socle de la résistance à toutes les bêtises et à toutes les violences.
Un constat terrible aussi : le nombre d’illettrés, d’analphabètes, une pente glissante. A chacun désormais de prendre ses responsabilités pour éviter l’illettrisme, l’analphabétisme en lui-même. En parlant, en refusant de se faire complice objectif de la propagation.
X ou Y, à quels verbes se remettre ? A ceux-ci, assurément : Intervenir. Résister. Oser. Ne pas désespérer. Ne pas dériver. Tenir un cap. Tenir tout court. Tenir.
pierre grouix
Gérard Blua, La culture française à la dérive, Max Milo Editions / Autres Temps, 2003, 132 p. 15 €. |