collectif, Matrix, machine philosophique

Daubix edi­to­rial ? 

“Le monde n’est pas vrai, mais il cherche, grâce à l’homme et à la vérité, à rejoindre son foyer.“
Ernst Bloch, L’esprit de l’utopie.

Le mot est sur toutes les bouches. Matrix, la tri­lo­gie Matrix, c’est la révo­lu­tion spi­ri­tuelle en marche sur fond de digits tout en cou­lées ver­dâtres. En 3 films toni­truants et per­cu­tants, ultra-référencés (de Pla­ton à Bau­drillard, en pas­sant par Des­cartes…) et à la tech­no­mys­tique de bon aloi, les frères Wachowski ont semble-t-il créé un mythe dédié à l’abyssale ques­tion : “Com­ment savoir si la réa­lité n’est pas une vaste illu­sion ?” Grand bien leur fasse.
Il ne s’agit pas tant pour nous de reve­nir ci sur le bien-fondé ou non de cette oeuvre ciné­ma­to­gra­phique (dont nous sommes réso­lu­ment fans à tout prendre) que de mesu­rer ce qu’il en est d’un livre qui pré­tend don­ner des clefs phi­lo­so­phiques quant à la valeur concep­tuelle même des deux pre­miers volets (l’ouvrage Matrix, machine phi­lo­so­phique ayant paru juste avant que ne sorte en France sur les écrans le 3e épi­sode de la saga cinématographique).

De ce point de vue, ce Matrix livresque, manière de “philosophie-fiction” entre science-fiction et phi­lo­so­phie qui intro­duit le kung-fu dans la Caverne de Pla­ton, est plus un échec qu’une réus­site. Sou­li­gnons pour­tant, à leur décharge, que les divers articles de Elie During et Patrice Mani­glier sauvent l’ouvrage en ques­tion, et consti­tuent un motif valable d’y mettre le nez, tant ils tentent et pro­posent des pistes inter­pré­ta­tives pour péné­trer au coeur du sys­tème Matrix, “construc­tion sym­bo­lique qui rend équi­va­lents foule de codes cultu­rels” et ren­voie à la fois à des codes reli­gieux (le boud­dhisme, le taoïsme, la gnose face à des des figures judéo-chrétiennes recon­nues tel le Mes­sie), poli­tiques (les tota­li­ta­rismes…), méta­phy­siques ou phi­lo­so­phiques (la vir­tua­lité, la liberté, la réa­lité), cultu­rels (la fable, le roman, la phi­lo­so­phie : Nietzsche, Pla­ton, Spi­noza, Bau­drillard), et contre-culturels (science-fiction, kung-fu…)

On n’en dira pas autant des articles lamen­tables, pour ne pas dire scan­da­leux, de Jean-Pierre Zara­der (pour­tant direc­teur de cette col­lec­tion phi­lo­so­phique chez Ellipses, un comble !) et d’Alain Badiou, qui vient ici se com­pro­mettre en déli­vrant pour toute par­ti­ci­pa­tion à cet effort de guerre phi­lo­ma­tri­cien un reste d’allocution pseudo éso­té­rique (“ Dia­lec­tiques de la fable ”) qui sur­prend par son aspect for­mel inchoa­tif et sa fébri­lité. Même logique du sur­vol com­plai­sant et de la paillette fast think dans ” Eloge de la contin­gence” où Zara­der offre l’exemple par­fait de la mau­vaise copie de dis­ser­ta­tion confon­dant argu­men­ta­tion phi­lo­so­phique et convic­tion per­son­nelle.
Deux bourdes aussi monu­men­tales, deux articles aussi vite expé­diés pour les besoins de la cause édi­to­riale, et qui ne sont pas sans contre­dire cer­tains acquis des autres articles conco­mi­tants, qui montrent com­bien Matrix, avec ses mul­tiples rami­fi­ca­tions dans les jeux vidéos, le DVD et Inter­net, est un sujet sur lequel il fait bon sur­fer, qu’on soit phi­lo­sophe, qu’on croit l’être ou qu’on se pré­tende tel. C’est bien le moins, direz-vous, à pro­pos d’un œuvre fil­mée qui inter­roge l’image comme le lieu du simu­lacre suprême et du déni par défi­ni­tion de toute réalité…

Il est vrai qu’au regard d’une pre­mière ligne de qua­trième de cou­ver­ture qui demande si ” la tri­lo­gie Matrix est […] autre chose qu’une for­mi­dable machine com­mer­ciale ? “, tant de pré­ci­pi­ta­tion et d’âneries mêlées fait un peu désordre. Mais cha­cun s’invente la conscience pro­fes­sion­nelle — pour ne pas dire la conscience tout court — qu’il veut bien.
Nulle urgence donc pour le néo­phyte ou l’amateur curieux de Matrix, ce ” film d’action intel­lec­tuel ” selon ses réa­li­sa­teurs, à se pré­ci­pi­ter sur l’ensemble des articles des six phi­lo­sophes ici réunis ; en revanche cha­cun lira avec pro­fit : ” La matrice à phi­lo­so­phies “ ; ” Les dieux sont dans la matrice “, ” Trois figures de la simu­la­tion ” de Elie During, de loin les meilleures contri­bu­tions de cet ouvrage abor­dant les thèmes aussi variés que le réel et le vir­tuel, la liberté humaine et les rai­sons du choix, la coha­bi­ta­tion de l’homme et des machines, le sta­tut des lois de la nature, la puis­sance de l’amour, le syn­cré­tisme reli­gieux drai­nés par le phé­no­mène Matrix.

Malgré l’ineptie de telle ou telle contri­bu­tion qui entoure les inter­ven­tions de E. During et tend à trans­for­mer ce Matrix, machine phi­lo­so­phique en “Dau­bix édi­to­rial”, le pré­sent essai a le mérite de pro­po­ser un glos­saire des prin­ci­paux sym­boles, concepts et per­son­nages (Agent Smith, Archi­tecte, Bau­drillard, Bullet-Time, Croyances, Cypher, Guerre hommes-machines, Maître des clés, Méro­vin­gien, Rêve, Télé­phones, Ter­ro­ristes, etc.) dont il serait mal­hon­nête de ne pas sou­li­gner l’efficacité et la per­ti­nence.
Bref, un ouvrage à lire avec pré­cau­tions puisqu’il peut aussi bien des­siller le regard qu’aveugler le pro­fane à coup de concepts imposés.

fre­de­ric grolleau

Alain Badiou, Tho­mas Bena­touil, Elie During, Patrice Mani­glier, David Rabouin, Jean-Piere Zara­der, Matrix, machine phi­lo­so­phique, Ellipses, 2003, 192 p.- 12,00 €.

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