Le bouillon est plutôt tonique : sautez donc dans le chaudron magique car la rétrolution est en marche !
Sur le papier le propos de l’auteur est des plus tentants : se pencher, comme certains l’ont deja fait, sur le phénomène mondial Harry Potter pour nous expliquer comment et pourquoi le petit sorcier aux lunettes rondes a conquis, avant le monde entier, une Grande-Bretagne ébranlée par les années Thatcher. La raison d’un tel succès planétaire, incontestable, repose sur la crise des grandes idéologies dont le petit sorcier — royaume de “l’imposture du capitalisme et du marketing” — serait le chantre, si l’on en croit Andrew Blake dont l’essai ne manque pas de mordant même s’il affiche une argumentation souvent pauvre.
Néanmoins les pages où Blake établit que Potter a conquis le monde (aussi bien les jeunes lecteurs que les adultes) parce qu’il a su s’imposer dans une Angleterre au passé glorieux enfui, et en quête d’un nouvel imaginaire collectif sont intéressantes. Ainsi les “angoisses” du monde culturel et politique actuel expliquent-elles en grande partie la renommée du héros de Joanne K Rowling. Et l’auteur de convoquer à l’appui de sa thèse le déficit d’ “anglicité” depuis les réformes juridiques de l’Ecosse et du Pays de Galle, l’accroche moderne ultra-réaliste de cette histoire “politiquement incorrecte” où un petit garçon vivant dans une banlieue en faux style Tudor quitte l’école et, surtout, la recette “rétrolutionnaire” jadis utilisé par les ingénieurs de la Jaguar : “alliance magique du passé et du présent” qui vise à “présenter le neuf sous l’aspect du passé pour le rendre plus attrayant”…
Au carrefour de la vague consumériste des années 80 (décrétant que le passé rébarbatif est devenu “consommable”), de l’analphabétisation croissante de la frange masculine et de l’illettrisme à l’école et d’une défense de l’Angleterre multicuturelle d’aujourdhui, Harry Potter a également joué le rôle de “potion magique” auprès des Travaillistes afin de redorer le blason des politiciens dont se désintéressait le public depuis Thatcher. Et voilà comment le marketing global démuséeifiant a surmonté la crise de la foi chrétienne et de la rationalité scientifique. On suit sans peine Andrew Blake dans son analyse et l’on veut bien croire que les livres de Rowling ont en effet redonner le goût à la lecture (après un détour par le matraquage au cinéma) à bon nombre d’enfants (voire d’adultes), mais l’on regrette que son ouvrage ne contienne pas davantage de commentaires de l’oeuvre Harry Potter elle-même, pourtant bien démarquée ici de séries telles que Scooby Doo ou Buffy en proie au même irrationnel hantant les consciences, lequel sert surtout ici de prétexte à une déconstruction sociologique de l’Angleterre.
Le bouillon est plutôt tonique : sautez donc dans le chaudron magique pendant qu’il en est temps car la “rétrolution” est en marche !
frederic grolleau
Andrew Blake, L’irrésistible ascension d’Harry Potter, Le Félin, 2003, 136 p. — 16, 50 €. |
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