Une méditation sur le phénomène le plus important du 20ème siècle.
Si aujourd’hui 58 mn sont nécessaires à certains pour vivre, 32 m suffisent en 1956 à Resnais pour mourir quant à l’illusion d’une humanité pure. Difficile pour le critique de « raconter l’histoire » de Nuit et brouillard, difficile pour le citoyen du monde de ne pas présupposer que ce documentaire sur l’horreur de la déportation et des camps d’extermination est forcément connu de chacun. Un texte sobre de Jean Cayrol (rescapé des camps) dit par Michel Bouquet, un montage épuré qui alterne d’images d’archives en noir et blanc et visite en couleurs des lieux (ici Auschwitz) où se projeta la « zone grise « chère à Primo Levi font le reste.
Voilà un insondable « cri d’alarme » qui rappelle à ceux qui l’ignoreraient encore ou qui l’ont oublié, ou qui osent faire croire qu’il en a été autrement, comment l’horreur sans nom du crime totalitaire et de la néantisation de l’autre prirent forme derrière des barbelés. « C’était donc par le cinéma que je sus que la condition humaine et la boucherie industrielle n’étaient pas incompatibles et que le pire venait juste d’avoir lieu », écrivit Serge Daney lorsqu’il songea à l’impact sur lui de la première projection de ce documentaire hors norme, qui privilégiait l’indignation sur la haine. Prix Jean Vigo 56, Nuit et brouillard, commandé par le Comité d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale à l’occasion du 10ème anniversaire de la libération des camps et réalisé au nom de la promulgation du décret du 2 Février 1942 dit “Nacht und Nebel” (Nuit et Brouillard), désignant les prisonniers qui devaient disparaître au cours de leur détention, connut une réception houleuse et ne manqua pas de provoquer des polémiques, dont on retrouve un historique détaillé dans l’émission radiophonique réalisée pour France Culture qui constitue le seul bonus, segmenté en dix points importants, de cette édition DVD très attendue.
Si le livret qui l’accompagne est impressionnant de clarté, d’informations et de pédagogie mêlées, on pourrait regretter que le déroulé atone de l’émission en question, sur fond uniforme, soit plus adapté à l’écoute radio qu’au support dvd en tant que tel, mais l’entrée en matière du présent article visait à laisser entendre qu’il ne faut point comparer l’incomparable — soit qu’on n’a pas à juger d’un monument cinématographique de l’histoire de l’humanité comme du énième blockbuster à succès hollywoodien. Loin de toute prouesse technique ou profusion de « special features », si l’on excepte un son et une image restaurés, loin de tout emberlificotement esthétique, les éditions Arte video et Argos films ont décidé de ne pas défigurer, sous prétexte d’un media high tech, cette oeuvre en laquelle Truffaut voyait moins « un documentaire [qu’] une méditation sur le phénomène le plus important du 20ème siècle ». Le vrai bonus, « dynamique », à nos yeux est donc le tiré à part, hors du disque, et c’est là un choix tout à fait honorable.
Il est vrai que la spécificité du génocide juif n’est pas dégagée par Resnais, alors dépositaire de la manière dont on perçoit l’horreur concentrationnaire de la 2ème guerre mondiale dans les années 50, mais il n’en reste pas moins que Nuit et brouillard est à (re)découvrir comme une des tout premières étapes fondamentales — Shoah de C. Lanzmann sera tourné en 1985 — de ce qu’on peut appeler aujourd’hui la mémoire de la déportation, depuis alimentée par des témoignages des survivants de ce massacre de masse et de nombreux travaux d’historiens. Car toujours peuvent advenir « de nouveaux bourreaux » laisse tomber in fine la voix off. Si Alberich était en mesure, en coiffant son casque magique, de se transformer en colonne de fumée tandis qu’il chante “Nuit et brouillard, je disparais”, une interprétation de la mythologie allemande propre à Wagner que les nazis reprirent dans leur programme dément, nous savons désormais grâce à Alain Resnais qu’il est des êtres et des choses qui jamais ne « disparaissent », quand bien même les tortionnaires voudrait effacer leurs corps, leurs mémoire, leurs images, leurs cris.
frederic grolleau
Nuit et brouillard
Réalisateur : Alain Resnais Avec : Michel Bouquet Format image :Full Screen (Standard) — 1.33:1 Zone : Zone 2 Langues et formats sonores : Français (Dolby Digital 2.0 Mono) Éditeurs : Arte video, Argos films Présentation : Snap Case Date de parution : 18 mars 2003 prix : 30, 00 euros
Bonus : • Les images et le son restaurés • Un CD comprenant une enquête radiophonique réalisée pour France Culture, avec des interviews de Alain Resnais, Michel Bouquet, Claude Lanzmann,… • Un livret de 60 pages en couleur et noir et blanc avec de nombreux textes, photographies et documents inédits