S.O.S. Bonheur était un scénario de Jean Van Hamme destiné à une série télévisée. Devant le contenu et le ton, les réalisateurs pressentis abandonnent. Il en fait le sujet d’une bande dessinée par Griffo qui paraît d’abord dans Le Journal de Spirou entre 1984 et 1986, puis en trois albums entre 1988 et 1989. Le thème est repris par Griffo en compagnie, cette fois, de Stephen Desberg. Le premier tome de la saison 2 est paru en 2017.
Si Van Hamme a imaginé une évolution très inquiétante des démocraties occidentales, Desberg place son récit dans un système totalitaire.
Moreau est un excellent employé de ministère, efficace et responsable. Il se voit confier une étrange mission : collecter des informations, rassembler ses impressions sur un certain nombre de personnes dont on lui confie la liste.
Brigitte, une jeune femme banale, vendeuse dans un magasin, veut partir à l’heure pour chercher sa fille. En fait, c’est pour prendre son service dans un bar où le patron la menace de la renvoyer pour ses constants retards. Un groupe discute de mode et de la campagne de promotion à une table qu’elle sert. On lui demande son avis. Le même soir, elle est appelée par Jacques Verdier, un patron de médias, qui faisait partie du groupe. Très intéressé par ses remarques, il veut la voir.
Virgil Toussaint est retraité. Lors de son passage à la caisse du supermarché, sa carte bancaire ne passe pas. Il rencontre un homme qui lui explique que ses revenus diminuent. Pour ne plus avoir de soucis financiers, il lui faut intégrer un des clubs Vacances-Retraite mis en place par le gouvernement. On lui promet une vie idyllique…
Gustave Corné est un proche collaborateur du Ministre Président. Il est accusé d’agression sexuelle. C’est à la télévision, à CNN, qu’il va se défendre face à son accusatrice. Ce sont les téléspectateurs qui votent. Il obtient 64 % de voix qui le blanchissent…
Peut-on parler de politique-fiction quand le scénariste puise au cœur de l’actualité pour nourrir son récit ? Certes, le propos est condensé et l’intrigue doit générer une tension, mais le fond est bien là, effrayant à souhait. Stephen Desberg dépeint une société dictatoriale où sont résolus les grands problèmes tels que la pollution, les inégalités, le coût de la santé, la surpopulation, le rejet des minorités, la manipulation des faits, des événements… Mais à quel prix !!!
On retrouve les recettes du régime stalinien, hitlérien, celles de l’Allemagne de l’Est, de la Corée du Nord… L’espionnage est élevé au rang d’institution. Tout le monde surveille tout le monde, la dénonciation est la règle commune. C’est également la description d’une société qui impose le règne de l’image, les diktats de la beauté pour des requins qui s’engraissent derrière, de la télécratie, de ces réseaux porteurs des pires ignominies.
Les deux volumes de la Saison 2 décrivent six destins croisés, six injustices, six combats qui dénoncent ce que le gouvernement met en place, les discriminations, le chantage à l’emploi, l’occultation de l’histoire, le refus de la mémoire, la toute-puissance matrimoniale et patriarcale… À n’en pas douter, le scénariste s’est inspiré, pour son personnage de Jacques Verdier, d’un triste sire qui, de clown télévisuel (pardon pour les vrais clowns qui font un magnifique travail), est devenu le président d’une nation tombée bien bas pour élire un tel individu.
Griffo assure son efficace graphisme avec une mise en page de type classique, privilégiant les personnages plutôt que les décors, utilisant des couleurs neutres pour mieux faire ressortir cette atmosphère pesante, cette chape de plomb.
Avec cette saison 2, les auteurs interpellent, traitant d’un sujet qui fait prendre conscience de la fragilité des libertés individuelles, de la facilité avec laquelle il est possible de basculer dans une tyrannie habillée de “bons sentiments”.
serge perraud
Stephen Desberg (scénario), Griffo (dessin et couleurs), S.O.S. Bonheur — Saison 2 : Volume 2, Dupuis, coll. “Aire Libre”, novembre 2019, 112 p. – 20,95 €.