La transgression et la subversion sont des concepts qui restent inopérants même lorsqu’il s’agit d’évoquer les créateurs de rêves. Et ce, du XVIIIème siècle à aujourd’hui — période qu’embrasse le livre de Schlesser. Si bien que l’injonction de Beckett “imagination morte, imaginez, imaginez encore” semble la formule magique de ceux qui se contentent de suivre l’idéologie et de la servir pour asservir les gogos de tout acabit.
Plutôt que d’introduire du leurre dans le leurre et d’ouvrir le monde par le rêve, bien des créateurs n’enfreignent rien et ne prennent pas de risques. “L’âme à tiers” (Lacan) qu’ils concoctent ne recèle que des formes grasses.
Dès lors, sous son apparence, le rêve n’est fait trop souvent que de natures mortes, portraits et paysages sans la moindre monstration du « monstre ». Et, sous leur faix, l’intimité exhibée n’est qu’une nudité coupable (“ nuditas criminalis ”) même lorsque l’hygiénisme des publicités tient lieu d’hédonisme.
Le langage du rêve est donc souvent un piège. Schlesser l’affronte en montrant comment les créateurs même les plus mystiques ou les plus érotiques ne sont que de sinistres cyniques.
Sans “l’inannulable moindre” (Beckett) qui résiste à la règle, pas la moindre note pour un oiseau. Tout se coagule en une glue.
L’auteur rappelle donc que, sous le rêve, se cache du modélisme et du clientélisme programmés.
jean-paul gavard-perret
Thomas Schlesser, Faire rêver — De l’art des Lumières au cauchemar publicitaire, Gallimard, coll. Arts et Artistes, Paris, 2019, 336 p. — 28,00 €.