Yves Peyré souligne combien Bacon connaissait la littérature. Conrad ou T.S. Elliott, par exemple, créaient en lui ce qu’il nomme “une excitation”. A partir de celle-ci, chaque tableau commençait par une esquisse au fusain. Mais il pouvait changer de “thème” par métamorphoses successives avant que l’oeuvre définitive surgisse d’un seul bloc et presque d’un seul ton.
Bacon tentait ainsi d’atteindre une totalité dont il ignorait d’abord tout et qui le rapproche toujours de Nietzsche, Bataille et Sade.
Sortant du corpus surréaliste et de ses automatismes auquel il voulut s’identifier dans sa jeunesse et à contretemps de l’abstraction, il chercha le mouvement même de la vie proche du Masson dionysiaque même si chez lui c’est Apollon qui règne avec sa violence. L’artiste s’en empara et le premier Michel Leiris le reconnut. Ce dernier admire le sens de la déformation et l’énergie de Bacon qui se sentit comme Genêt (dont le peintre apprécie l’écriture et l’univers) exclu et imprégné d’une érotisme attaché à la mort.
Défaisant le visage — de “L’homme au lavabo” par exemple — et s’éloignant de l’ordre, Bacon fait surgir le frémissement de la vie et le chaos. Chaque personnage chez lui devient un golem et dans une fidélité paradoxale à la transformation. L’artiste vécut dans l’obsession d’abréger la forme et de penser la coïncidence des contraires . Ils sont fondus dans chaque oeuvre en un huis clos.
Peyré rappelle ainsi combien ce travail permet de réfléchir à la question de l’identité, de l’enfermement. A ce titre l’oeuvre reste plus que jamais majeure étant donnée sa place au coeur des ténèbres. Et celles du peintre rappellent au plus haut point les ombres de Conrad.
jean-paul gavard-perret
Yves Peyré, Francis Bacon ou la mesure de l’excès, Livres d’Art, Gallimard, 2019.