Meurtres dans la Gaule chevelue
Cracius Vespasianus sort d’une nuit de débauche ayant encore sur les lèvres le goût du sexe d’Epotsorovida, sa nouvelle conquête gauloise. Il chevauche dans le petit matin, respirant l’air vif des Pyrénées tout près. À l’endroit où il aime s’arrêter, il reçoit un coup dans le dos et meurt. À Lugdunum Convenarum, c’est la stupeur. Un noble romain assassiné avec un poignard convène risque de mettre en péril la paix fragile qu’Hadrianus tente d’instaurer entre les deux populations qui se sont combattues.
Dans un premier temps, il essaie de faire passer le crime pour un accident. Cette version vite confondue, il confie l’enquête à Valerius Falco, le centurion de la place, en lui enjoignant de ne pas questionner la famille en deuil. Compte tenu des restrictions imposées, le centurion piétine sans aboutir. Les amis de Cracius ne veulent rien dire bien que Valerius détecte un malaise.
Et Balbius Iassus meurt, mordu dans sa chambre par une vipère rhinocéros d’Afrique du Nord. Il faut faire appel à l’échelon supérieur et c’est le propréteur Rufus Riego qui arrive de Tolosa avec la conviction que le coupable ne peut être qu’un Convène, un membre de la tribu gauloise. Mais c’est Valerius qui découvre le fond de l’affaire, un concours entre les cinq amis, à celui qui séduirait le plus de chevelues, de vierges gauloises…
Le romancier se joue de règles tacites qui régissent les rouages du roman policier, qu’il soit historique ou moderne, pour une intrigue menée avec maestria. Le récit s’appuie sur trois personnages principaux aux profils et aux motivations bien différentes. Hadrianus Trevius est un sénateur qui s’est opposé à Auguste, pour défendre la république. Il a été nommé dans cette région de la Gaule chevelue, bien loin de Rome. Depuis huit ans, il exerce au mieux son activité de premier magistrat voulant que règne la Pax Romana. Il désire, maintenant, rentrer en grâce auprès d’Auguste.
Valerius Falco est un soldat blanchi sous le harnais qui, après avoir donné tant d’années à Rome, voudrait retrouver sa famille, son épouse et ses deux fils. C’est un militaire scrupuleux, honnête qui souhaite découvrir la vérité. Le proprétreur Rufus Riego n’a pas envie de passer du temps loin du confort de Tolosa. Doté des pleins pouvoirs (il ne rend des comptes qu’à Auguste), il veut régler l’affaire rapidement. Pour lui, ce ne peut être qu’un Gaulois le coupable, donc…
Autour de ce trio, Benoît Séverac anime une belle galerie de protagonistes représentative de la population qui pouvait peupler ces civitas, ces communautés de citoyens que le pouvoir romain implantait dans les territoires qu’il occupait. Lugdunum Convenarum, aujourd’hui appelé Saint-Bertrand-de-Comminges, se situait dans la Gaule qualifiée de chevelue à cause de ses immenses forêts. C’est par analogie que les jeunes Romains appelaient les jeunes Gauloises : les chevelues. Le romancier propose un récit qui prend en compte la vie de l’époque, la situation politique et les aspirations de chacun de ses principaux personnages. Il décrit les ambitions des uns et des autres, les rapports de force, le goût du pouvoir…
Autour de cette série de meurtres, il détaille l’organisation d’une cité romaine, le fonctionnement de ses institutions, le quotidien de ses habitants qu’ils soient nobles romains, soldats ou Gaulois. Un lexique complète de belle façon le roman pour une explication détaillée des différents termes latins utilisés.
Avec une écriture fluide, un style direct, des dialogues percutants, Benoît Séverac offre un beau récit tant pour la qualité de son intrigue que pour la richesse des apports historiques.
serge perraud
Benoît Séverac, Les chevelues, Éditions 10/18, coll. “Grands détectives” n° 5501, septembre 2019, 240 p. – 7,10 €.