Serge Bramly, Léonard de Vinci. Une biographie

Quelle vie !

Il y a cinq cents ans, le 2 mai, s’éteignait Léo­nard de Vinci dans son manoir de Cloux, appelé aujourd’hui Clos-Lucé, en Tou­raine. Ce per­son­nage aux mul­tiples acti­vi­tés, à la fois peintre, sculp­teur, inven­teur, scien­ti­fique… intrigue encore. Il a laissé des œuvres excep­tion­nelles mais aussi de nom­breuses zones d’ombre.
Lui-même, dans un de ses fameux car­nets où il uti­li­sait un sens d’écriture peu com­mun, n’a-t-il pas été dans ce sens en emprun­tant aux Méta­mor­phoses d’Ovide : “Je doute, ô Grecs, qu’on puisse faire le récit de mes exploits, quoique vous les connais­siez, car je les ai faits sans témoin, avec les ténèbres de la nuit pour com­plice.”

Serge Bramly, avec cette bio­gra­phie, donne le maxi­mum de lumière sur cet homme pro­di­gieux. Il n’omet rien, explo­rant toutes les facettes qui ont com­posé son exis­tence. La pré­sente édi­tion pro­pose une qua­trième ver­sion, le bio­graphe enri­chis­sant régu­liè­re­ment son texte avec les connais­sances et les décou­vertes rela­tives à Léo­nard.
En onze cha­pitres, tous plus denses en infor­ma­tions les uns que les autres, Serge Bramly brosse un por­trait sai­sis­sant de l’homme, de son envi­ron­ne­ment, de son par­cours dans les dif­fé­rentes cités qui com­po­saient le patch­work de la botte ita­lienne à l’époque, les sou­bre­sauts poli­tiques, les guerres…

Il décrit le per­son­nage, ses évo­lu­tions, son goût pour un cer­tain dan­dysme alors que dans ses car­nets il se moque pour­tant des excès des modes, des évo­lu­tions qu’il juge ridi­cules. L’auteur com­mence sa bio­gra­phie avec une belle des­crip­tion de l’autoportrait pré­sumé qui se trouve à la biblio­thèque royale de Turin.
Est-ce vrai­ment Léo­nard ? Il com­pare celle-ci avec nombre d’autoportraits des peintres célèbres de cette époque, révèle les dif­fé­rences dans le trai­te­ment de cette œuvre. Il s’appuie cette étude pour reve­nir sur les grandes étapes de la vie de ce génie, sur les épreuves qui ont pu mar­quer ainsi son visage.

Le bio­graphe détaille toutes les facettes du talent de Léo­nard, revient bien sûr, sur la genèse de la célé­bris­sime Joconde, sur La Cène, sur son tra­vail d’anatomiste, d’ingénieur, d’architecte, d’hydraulicien, de phy­si­cien, de chi­miste… Mais il évoque aussi les dif­fi­cul­tés maté­rielles aux­quelles il a été confronté. Il lui faut vivre.
C’est ainsi qu’il accepte un contrat inique de la part des moines de San Donato pour L’Adoration des Mages. Ce grand retable, sur lequel il a beau­coup tra­vaillé, est resté inachevé. Mais, dans son état, nombre de spé­cia­listes le consi­dèrent comme un chef-d’œuvre du Quat­tro­cento. Il raconte les rup­tures, les guerres qui obligent à quit­ter les lieux pour trou­ver refuge vers d’autres mécènes, jusqu’à son der­nier voyage qui le conduira en France vers Fran­çois Ier.

Ce n’est qu’après la mort de Julien de Médi­cis, son pro­tec­teur, que Léo­nard consent à répondre à l’invitation des Fran­çais. Sa déci­sion se motive quand il dresse le pano­rama artis­tique ita­lien : Raphael mobi­lise le Vati­can, Michel-Ange est à Flo­rence et Titien règne sur Venise. Il arrive donc à Amboise au prin­temps 1517 avec tous ses bagages conte­nant tous ses des­sins, ses cro­quis et ses œuvres en cours…
Mais Léo­nard sera tou­jours pri­son­nier d’une dua­lité com­pul­sive et secrète. Celle-ci est-elle liée à sa condi­tion de bâtard ? La situa­tion de son père adop­tif s’améliore gran­de­ment et il devient, avec sa nou­velle et jeune épouse, le père d’un pre­mier enfant légi­time. C’est à cette époque qu’il est accusé de s’être livré à la sodo­mie active avec trois gar­çons sur la per­sonne d’un jeune de dix-sept ans. Un pre­mier pro­cès ne donne rien et un second conclut à un non-lieu. Cepen­dant, Serge Bramly pré­cise bien que l’un des accu­sés rele­vait de la famille de la mère de Laurent de Médicis !

Il éclaire la vie sen­ti­men­tale et sexuelle de Léo­nard à par­tir d’écrits, de des­sins, en rap­por­tant des faits… On ne lui connaît pas de com­pagne, ni même d’amitiés fémi­nines tout au long de sa vie. Par contre, il s’entoure de jeunes assis­tants. Il des­sine quan­tité de nus mas­cu­lins avec une pré­di­lec­tion pour la moi­tié infé­rieure du corps alors qu’il pri­vi­lé­gie la par­tie supé­rieure chez la femme, le visage, les mains, le buste.
Dans ses tra­vaux d’anatomie, il s’attache au sys­tème repro­duc­teur mâle, ne don­nant que deux cro­quis d’un sexe de femme, un sexe pré­senté de façon incor­recte, béant, à l’image de l’entrée mena­çante d’une caverne !

Ce livre est four­millant de détails tous plus piquants les uns que les autres. Tel Louis XII, fas­ciné par La Cène, qui demande si on peut la démon­ter pour la rame­ner en France.
Une bio­gra­phie réfé­rence parmi les réfé­rences et une belle vision de la per­son­na­lité, de la vie de ce génie.

serge per­raud

Serge Bramly, Léo­nard de Vinci, JC Lat­tès, mai 2019, 640 p. – 24,00 €.

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