Jusqu’à crève-coeur
Malek Alloula (1937–2015) fut un poète, nouvelliste et essayiste algérien qui vécut longtemps à Paris. Une fois encore, Ghislain Ripault le met en exergue en publiant L’Ecriveur. Ce texte ultime est particulier dans le contexte de l’oeuvre. L’auteur l’avait emporté pour le finaliser lors d’un ultime séjour à Berlin où il avait été invité par l’Office Allemand d’Echanges Universitaires (DAAD).
L’auteur oranais s’ose ici à une autobiographie sincère et circonstanciée. L’auteur y fait le point sur son initiation : à savoir ce qu’il apprit et ce qu’il a dû désapprendre. Comme, par exemple, l’invention romanesque “stéréotypée, anecdotique à outrance” des “dames de l’Ecurie de Ralem“qui sous prétexte de dévoiler des secrets féminins n’en parlèrent que de loin comme le firent d’ailleurs les parents de son aimée.
Malek Alloula eut l’intelligence de passer outre de tels manèges et leurs dédoublements de substitution. Son écriture ne travestit rien : elle “dit”. Avec la pudeur et le respect nécessaire pour ne pas tomber dans le racolage ou le règlement de comptes. Peu à peu, il découvre son propre chemin littéraire et existentiel et quelques uns des secrets d’Aïcha, un temps prostituée d’un bordel et dont l’histoire était mise sous le boisseau à coup de propos lénifiants. Et qu’importe si, à la fin, l’auteur la perdit “littérairement avant de la perdre physiquement”.
Mais, auparavant, le futur auteur fit ses classes auprès d’un père dont ses codes littéraires le transformèrent en une sorte de Ravachol fomenteur de chausse-trappes. Il fut en effet écrivain public, moins de lettres que de “machines infernales” en passant son temps à “jouer au gendarme et au voleur” dans sa passion des contraires. Le fils en hérita comme il fit sienne les leçons de son “Analphabète“et ses visions métaphysiques qui “depuis que le monde est monde, tiennent le milieu entre sagesse et folie”.
L’auteur écrit avec précision et clarté un texte qui permet de comprendre comment d’écrivain public (après son père) il allait devenir un Ecrivain. Il fallut néanmoins une seconde initiation, moins littéraire mais plus tentante.
Et ce, dans le caravansérail où la vie incessante et mystérieuse des femmes se fomentait et où il lui fut donné de connaître la révélation qui le fit non seulement un écrivain mais un homme :” l’Ecriveur” et jusqu’à crève-coeur, au-delà des blessures que la vie imprime et parfois cicatrise.
jean-paul gavard-perret
Malek Alloula, L’Ecriveur, Editions Rhubarbe, Auxerre, 2019, 148 p - 12,00 €.
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