De Gaulle, le révolutionnaire conservateur
De la dernière année de pouvoir du général de Gaulle, l’histoire a retenu deux éléments : un référendum perdu à propos d’une réforme incompréhensible et à ce titre présenté comme un suicide politique ; l’image d’un vieillard amer et brisé, jamais remis de la crise de Mai 68 puis parti en Irlande pleurer sur l’ingratitude du peuple.
Le très beau livre d’Arnaud Teyssier met en pièces ces idées reçues répétées à longueur de travaux et d’études. Non, le général n’était pas l’ombre de lui-même en cette année 1969. Malgré le poids des ans, il faisait montre d’une détermination farouche à porter à son terme son projet révolutionnaire de refonte de la France ; œuvre commencée à la Libération, mise en place entre 1958 et 1962, et qu’il entendait désormais achever. C’est l’image nuancée et convaincante d’un politique à la fois conservateur et révolutionnaire qui ressort de l’étude d’Arnaud Teyssier.
Il est en vérité salutaire de rappeler que pour le fondateur de la Ve République, la France n’est rien sans l’Etat, père de la nation, garant de son indépendance et de sa grandeur. Adepte d’un libéralisme d’Etat, il réussit à réconcilier les institutions politiques, instables depuis la Révolution, et les institutions administratives solides et permanentes depuis le Ier Empire.
Mais une inquiétude le tenaillait : celle de la pérennité de sa république, une fois la présidence confiée à son successeur. L’intuition n’était pas infondée puisque la nature des institutions a subi une profonde évolution, surtout depuis les années 1980, puis le quinquennat. Notre système est devenu présidentialiste alors qu’il était présidentiel sous son fondateur.
Autre apport du livre : l’analyse précise de la politique régionale du président de Gaulle ; celle-là même qui le conduit au projet de réforme des régions et du Sénat soumis à référendum en avril 1969. Certes complexe et technique – Arnaud Teyssier ne le nie pas –, cette transformation avait sa cohérence car elle correspondait à la vision gaulliste de l’Etat et de son rapport avec le pays : la région devait rester le relais de l’Etat et ne jamais devenir un « acteur de plein exercice ».
De Gaulle rêvait de régions en effet puissantes mais contrôlées par l’Etat, permettant à ce dernier de dialoguer avec la société. Bref, une régionalisation centralisée si l’on peut dire.
Enfin, l’ouvrage revient à plusieurs reprises sur la personnalité du général, son éducation, son parcours intellectuel, ses lectures, ses maîtres à penser. C’est peu dire qu’il ne correspond pas au visage très « social-démocrate » que d’aucuns de nos jours aiment lui donner. Bien au contraire, l’homme du 18 juin ne cachait pas son admiration pour Franco, cet autre général qui selon lui sauva l’unité de l’Espagne et préparait la restauration monarchique – ce que le Français ne voulut ou ne put réaliser.
Le chef de l’épopée de la France libre ne croyait pas au bonheur, ni individuel ni collectif et nourrissait une conception tragique de l’histoire des nations et des Etats à des années-lumière de l’irénisme actuel de notre chère Union européenne…
frederic le moal
Arnaud Teyssier, De Gaulle, 1969. L’autre révolution, Perrin, février 1969, 300 p. — 22, 00 €.
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