Une voix, dans le noir, s’élève :
« Un deal est une transaction commerciale portant sur des valeurs prohibées et qui se conclut dans des espaces neutres […] par entente tacite, signes conventionnels ou conversation à double sens… » Un dealer et un client. Une rue, une nuit. Deux êtres qui se croisent, se percutent, se meurtrissent dans un dialogue qui, par de brèves répliques, en dit long sur les rapports qu’un homme entretient avec un semblable.
Dans la solitude…, c’est l’évocation métaphysique de la condition humaine, « des champs de coton », une référence à l’esclavage. Et si le dealer de Koltès se révèle être dealeuse chez Berling, c’est que la question de l’altérité et du désir vont au-delà du genre. Car il s’agit bien plus que d’un simple échange commercial.
Sous ses airs de transaction illicite, là le rapport à l’autre est interrogé. Les personnages se répondent, sans vraiment interagir. Chacun exprime sa souffrance d’humain en cherchant à établir du lien. Une tentative qui reste vaine quand domination et soumission, arrogance et humiliation œuvrent dans cette joute verbale. Le texte est poétique et il engage une réflexion philosophique.
Bientôt, la métaphysique dépasse le simple érotisme quand ce ne sont plus deux hommes qui s’approchent mais deux existences qui s’entrechoquent.
Koltès dit la solitude des êtres qui peinent à combler le vide qui les habite. Être, c’est venir à désirer. C’est précisément ce désir qui rend égaux les deux personnages, l’un possédant le désir, l’autre obsédant objet du désir. Mais l’appel à la satisfaction reste vain. L’objet qui ne cesse d’être en question dans l’échange n’est jamais dévoilé. La situation demeure aporie.
À la fin, c’est la faillite d’une réconciliation, d’une compréhension. La rencontre devient dangereuse, l’autre une menace. Le pire n’est pas la destruction que s’infligent deux hommes, c’est l’abandon dans lequel réciproquement ils se laissent inachevés.
Si le texte captive, la représentation n’est pas toujours à la hauteur : le ton est plaintif, haché, monocorde. La mise en scène de Berling est percutante mais dessert parfois le propos, pourtant fort d’images et de symboles. Les balbutiements de la solitude humaine sont exprimés avec des accents tantôt craintifs tantôt criards.
Cependant, le propos reste hypnotique et nourrit l’attention sans relâche. Le décor urbain est habilement conçu et abrite un duo efficace, dans un bel effort de mise en scène.
clara cossutta & christophe giolito
Dans la solitude des champs de coton
de Bernard Marie Koltès
mise en scène Charles Berling
Avec Mata Gabin, Charles Berling.
Conception du projet Charles Berling, Léonie Simaga ; collaboration artistique Alain Fromager ; décor Massimo Troncanetti ; lumières Marco Giusti ; son Sylvain Jacques ; assistante à la mise en scène Roxana Carrara ; regard chorégraphique Frank Micheletti
A la Grande Halle de la Villette, du 15 au 17 mai 2019, durée 1h15.
Production Le Liberté, scène nationale de Toulon ; coproduction Théâtre National de Strasbourg ; Théâtre du Gymnase, Marseille ; Anthéa, Antipolis théâtre d’Antibes ; avec l’aide de la Spedidam.
Créé au Théâtre National de Strasbourg le 1er octobre 2016