Directeur des éditions L’oeil d’or, d’Asciano propose une fiction en sorte de reliquaire baroque habité d’animaux et de monstres aux sociétés secrètes où tout communique. Il y a là des litanies, des incantations. Celles des serpents de l’âme et des volcans du ciel dans des nuits d’étincelles. Dans ce roman, des bizarreries anthropologiques d’un magasin de curiosité, obsessions et fantasmes d’un double maléfique ou bienveillant, des sirènes, des licornes avancent.
Le monde est fantastique et familier. Il s’ouvre au vertige de la langue lyrique, argotique, technique mais surtout à l’histoire de deux frères siamois dans une famille passablement déjantée sur divers plans. Le texte traverse leur vie singulière au sein d’une Italie sudiste religieuse confite de miracles populaires. Ils cassent la trivialité d’un quotidien habilement topographié.
Les héros — doués d’une voix qui tord la réalité pour créer des transformations potentiellement dangereuses — deviennent des emblèmes d’un monde où le “ruisseau” et le prodigieux se mêlent. Rejoignant un cirque contre leur gré, ils entretiennent nolens volens le pouvoir qui leur permet de parler avec les morts.
Le réalisme magique prend une teinte italienne chère à Buzzati et à G.Rodari. D’Asciano en profite pour recréer le monde dans une langue picaresque mais aussi enfantine. Elle crée un rythme particulier. Le tout dans une contrée italienne imaginaire et maternelle venue du fond des mythes populaires de la Calabre et des Pouilles où ceux qu’on surnomme “quatre couilles” (amis d’un diable athée du nom de Raspoutine) ne partagent pas forcément la même complexion.
L’un des deux siamois est plus sombre que l’autre, mais dans la répartition des énergies tout fonctionne en une double dramaturgie habilement mené au milieu de la traversée des sentiments et des désirs. Les frères deviennent un monde dans le monde concret qu’ils ne comprennent pas — toujours pas plus que le monde physique et réaliste ne les comprend - entre vierges troublantes, ex voto rougeoyants.
Et ce, au sein des labyrinthes de ports aux boutiques obscures.
jean-paul gavard-perret
Jean-Luc André d’Asciano, Souviens toi des monstres, Editions Les Forges de Vulcain, 2019, 519 p. — 21,00 €.