Jean-Luc André d’Asciano, Souviens-toi des monstres

Réalisme magique

Direc­teur des édi­tions L’oeil d’or, d’Asciano pro­pose une fic­tion en sorte de reli­quaire baroque habité d’animaux et de monstres aux socié­tés secrètes où tout com­mu­nique. Il y a là des lita­nies, des incan­ta­tions. Celles des ser­pents de l’âme et des vol­cans du ciel dans des nuits d’étincelles. Dans ce roman, des bizar­re­ries anthro­po­lo­giques d’un maga­sin de curio­sité, obses­sions et fan­tasmes d’un double malé­fique ou bien­veillant, des sirènes, des licornes avancent.
Le monde est  fan­tas­tique et fami­lier. Il  s’ouvre au ver­tige de la langue lyrique, argo­tique, tech­nique mais sur­tout à l’histoire de deux frères sia­mois dans une famille pas­sa­ble­ment déjan­tée sur divers plans. Le texte tra­verse leur vie sin­gu­lière au sein d’une Ita­lie sudiste reli­gieuse confite de miracles popu­laires. Ils cassent la tri­via­lité d’un quo­ti­dien habi­le­ment topographié.

Les héros — doués d’une voix qui tord la réa­lité pour créer des trans­for­ma­tions poten­tiel­le­ment dan­ge­reuses — deviennent des emblèmes d’un monde où le “ruis­seau” et le pro­di­gieux se mêlent. Rejoi­gnant un cirque contre leur gré, ils entre­tiennent nolens volens le pou­voir qui leur per­met de par­ler avec les morts.
Le réa­lisme magique prend une teinte ita­lienne chère à Buz­zati et à G.Rodari. D’Asciano en pro­fite pour recréer le monde dans une langue pica­resque mais aussi enfan­tine. Elle crée un rythme  par­ti­cu­lier. Le tout dans une contrée ita­lienne ima­gi­naire et mater­nelle venue du fond des mythes popu­laires de la Calabre et des Pouilles où ceux qu’on sur­nomme “quatre couilles” (amis d’un diable athée du nom de Ras­pou­tine) ne par­tagent pas for­cé­ment la même complexion.

L’un des deux sia­mois est plus sombre que l’autre, mais dans la répar­ti­tion des éner­gies tout fonc­tionne en une double dra­ma­tur­gie habi­le­ment mené au milieu de  la tra­ver­sée des sen­ti­ments et des désirs. Les frères deviennent un monde dans le monde concret qu’ils ne com­prennent pas —  tou­jours pas plus que le monde phy­sique et réa­liste ne les com­prend - entre vierges trou­blantes, ex voto rou­geoyants.
Et ce, au sein des laby­rinthes de ports aux bou­tiques obscures.

jean-paul gavard-perret

Jean-Luc André d’Asciano, Sou­viens toi des monstres, Edi­tions Les Forges de Vul­cain, 2019, 519 p. — 21,00 €.

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