Les textes choisis pour ce livre de Denis de Rougemont répondent parfaitement aux exigences du moment. Pour l’Europe, les élections ont souligné et dans la plupart des pays un repli nationaliste. Denis de Rougemont le contredit. Surtout après la Seconde guerre mondiale l’auteur témoigne d’un engagement fédéraliste tant sur le plan politique que culturel. Il sait par ailleurs qu’un tel espoir doit passer par l’enseignement.
Il lui fut rapproché des jugements sommaires. Mais de telles critiques tiennent à une pensée qui n’était pas forcément suffisamment de “gauche” à l’époque. L’auteur, proche du “personnalisme” de la revue Esprit, fut presque taxé à l’époque de révisionnisme (sans qu’on sache lequel au fond).
Mais Denis de Rougemont a toujours pensé en dehors des courants majeurs et des dogmes en prêchant pour une interdisciplinarité qui reste en Europe — et en France en particulier - rejetée tant les gourous de chaque spécialité sont jaloux de leur territoire et prébende. Le livre — en particulier à travers les articles “Les méfaits de l’Instruction” (1938), “Former des Européens” (1956), “Infirmation n’est pas savoir” (1981) - demeure une réflexion majeure sur la problématique européenne.
L’auteur rappelle qu’il s’agit d’ “une unité de culture constituée par la confluence de plusieurs courants civilisateurs” et que la littérature européenne se constitue non par une “union” mais “une unité de base qui est notre passé, lequel conditionne et permet notre avenir commun”.
C’est ce avenir commun que Denis de Rougemont appelait, sans édulcorer les nombreuses embûches qui se dressent sur un tel chemin.
jean-paul gavard-perret
Denis de Rougemont, Faire des Européens — Essais sur l’Ecole et l’Université, éditions La Baconnière, Genève, 2019, 272 p. — 20,00 € / 23,00 CHF.