De machination en machination…
Ishmael Fofana était inspecteur de police à Madison dans le Wisconsin. Il est né aux USA de parents originaires du Kenya et n’avait jamais été en Afrique. C’est le meurtre d’une jeune blanche découverte sur la véranda d’un professeur africain (Là où meurent les rêves – éditions de l’aube – Noire, 2018), qui l’oblige à traverser l’Atlantique. Son enquête l’amène à fréquenter Odhiambo, dit O, inspecteur au Criminal Investigation Department (CID) à Nairobi.
C’était il y a trois ans. Depuis, Ishmael s’est installé au Kenya et, avec O, ils ont ouverts la Black Star Agency pour mener des missions de détectives privés. Or, les temps sont durs. Aussi Hassan, le patron du CID, leur confie de temps à autre quelques enquêtes. C’est ainsi qu’ils se retrouvent dans la forêt de Ngong, de sinistre réputation face au cadavre d’un homme exécuté de deux balles dans la tête. Les premières constations du légiste concluent que l’individu était atteint de drépanocytose et qu’il venait de prendre ses médicaments. De plus, son estomac contient un roulement à billes.
Une explosion retentit dans Nairobi. Ils arrivent sur les lieux de l’attentat, une bombe au Norfolk Hotel. Participant aux secours, ils trouvent, éparpillés dans les gravats, des roulements à billes identiques à celui trouvé précédemment sur le cadavre. Quels liens peuvent exister entre cet attentat et l’homme assassiné ?
Ils commencent à poser des questions jusqu’au moment où cinq hommes se rendent maîtres de Maria, l’épouse de O, de Muddy, la compagne d’Ishmael, et de lui-même. Le chef qui porte un tee-shirt Sahara les menace de tuer Maria si le détective ne lui donne pas le renseignement qu’il attend…
Si l’épiderme noir d’Ishmaelle fait classer comme Africain aux USA où il est né, il est appelé l’Américain au Kenya et considéré comme un étranger. L’auteur joue sur cette opposition, sur cet écartèlement avec le personnage qui se retrouve, de fait, de nulle part. Dans ce second volet de ses enquêtes, le héros est installé depuis quelques années dans le pays de ses ancêtres et s’intègre peu à peu, commençant à apprendre à vivre selon le mode kenyan avec Muddy, sa compagne, et surtout O, son coéquipier, un pur produit du pays.
L’enquête qu’ils doivent mener se déroule dans un contexte difficile, dans un climat délétère entre attentats, élections présidentielles tant au pays qu’aux États-Unis. L’action se déroule pendant la campagne de Barack Obama. Celle-ci a des répercussions sur la démocratie kényane. Il détaille les soubresauts de cette démocratie confrontée au terrorisme, à toutes les divisions du pays.
Avec une galerie de personnages hauts en couleur, quelle que soit la pigmentation de l’épiderme, certains très sympathiques, d’autres beaucoup moins, Mukoma Wa Ngugi raconte le quotidien de la population de la capitale, les moyens policiers mis en œuvre, la participation américaine avec les équipes de l’ambassade et les agents de la CIA.
Mais il livre une description terrible du tissu tribal, des luttes et des haines ancestrales qui ne demandent qu’une étincelle pour resurgir. Le romancier entraîne son lecteur dans une course tendue sur les talons des principaux protagonistes, ceux-ci se trouvant pris dans un piège qui va les obliger à quitter le pays, à se retrouver au Mexique, aux USA…
Mukoma Wa Ngugi livre une superbe intrigue avec un maelstrom d’actions, d’attentats, de meurtres, de complots, de fraudes électives, de machinations politiques servies par des concepts idéologiques révolutionnaires et des individus prêts à tout pour les faire aboutir face à une meute de politiciens véreux, de trafiquants de drogues tels des Jésus sous stéroïdes.
serge perraud
Mukoma Wa Ngugi, Black Star Nairobi (Black Star Nairobi), traduit de l’anglais (Kenya) par Benoîte Dauvergne, éditions de l’aube, coll. “Noire”, mars 2019, 336 p. – 21,00 €.