Le récit passionnant de la genèse d’une avancée mathématique
C *édric Villani est un mathématicien qui laissera, à n’en pas douter, une marque profonde dans l’histoire de ce domaine scientifique. À trente-huit ans, il obtient la médaille Fields, récompense décernée tous les quatre ans, lors du Congrès international des mathématiciens. Il y a des prix plus prestigieux comme le prix Abel, le prix Wolf… mais ils sanctionnent le couronnement d’une carrière, alors que la médaille Fields joue un rôle de tremplin, d’encouragement.
Dans Théorème vivant, il raconte le parcours, les différentes étapes qui l’ont amené à élaborer un nouveau théorème, à proposer une avancée scientifique sanctionnée par une prestigieuse récompense. Il décrit le cheminement chaotique qui mène d’une ébauche d’idée, à sa concrétisation, à sa publication dans une revue de référence et son entrée parmi les théorèmes dument estampillés. Cette avancée apporte un progrès substantiel à cette science et servira, à son tour, de marche à quelqu’un d’autre pour faire progresser la connaissance dans cette discipline.
Le récit de l’auteur commence dans les locaux de l’École Normale à Lyon, le dimanche 23 mars 2008, vers 13 heures. Cédric et Clément Mouhot discutent de l’équation de Boltzmann, la plus belle équation du monde selon le narrateur. Le récit se termine le 19 août 2010, à Hyderabad, en Inde, lors de la remise de la prestigieuse médaille. C’est le chemin parcouru entre ces deux dates que le mathématicien propose de suivre. Il expose un parcours constitué d’intuitions, de déclics, d’errements, de ruptures, de cassures, de tout ce qui peut concourir et aider à faire germer une nouvelle avancée scientifique. Il raconte ses discussions avec ses collègues, avec des scientifiques d’autres disciplines, évoque les tâtonnements, le travail en équipe avec Clément Mouhot et bien d’autres, les échanges d’informations, les pistes suggérées, mais aussi les impasses. Il donne ainsi, une image réaliste de la recherche et de ses doutes.
Dans le cours de son récit, en fonction de sa progression, il présente de nombreuses biographies, synthétiques mais érudites, de mathématiciens, leurs apports à la communauté scientifique. Chacune de ces biographies est agrémentée d’un portrait en noir et blanc réalisé par Claude Gondart. Il cite, également, les différents lieux où il a travaillé, évoque son séjour de six mois à Princeton, à l’Institute for Adversced Study, un concentré de matière grise.
Cependant, Cédric Villani livre un récit magnifiquement humain, car il ne se borne pas à parler « boutique ». Il fait découvrir, si on ne le connaît pas déjà, le quotidien d’un scientifique de haut niveau, sa passion pour la mathématique mais également la passion pour tout ce qui fait sa vie, sa façon de travailler. On découvre un homme curieux de tout, ou presque, féru de musique, tant classique que de variété, qui lit des mangas, invente des histoires pour ses enfants. Ce qui est frappant, c’est l’ouverture d’esprit dont fait preuve ce chercheur, qui est à l’écoute, qui ne refuse, ne rejette a priori aucune idée, aucune hypothèse. Cédric Villani possède un esprit aussi éloigné que possible de l’intégrisme, du dogmatisme.
Il démontre que la progression scientifique, comme dans d’autres domaines également, ne peut venir que d’un travail en commun, s’appuyant sur le passé, sur des apports de prédécesseurs sans qui rien n’est possible.
Si vous êtes versés dans l’art mathématique, vous pourrez apprécier, à la lecture de certains brouillons de l’auteur, les rapprochements, les accords entre les différents théorèmes cités. Si, comme pour moi, ces pages sont à peu près aussi compréhensibles que le langage Bongo-bongo des natifs de l’Île de Pâques, vous vous passionnerez à lire tout le reste. On peut, sans problème, éviter ces pages. Il demeure un récit riche, l’aperçu d’une personne d’exception qui raconte, avec simplicité, le cheminement vers une découverte marquante.
serge perraud
Cédric Villani, Théorème vivant, Grasset, août 2012, 288 p. – 19,00 €.