D’une tyrannie à une dictature
Le romancier s’attache, dans ce livre, à exposer les mécanismes qui amènent à l’installation d’une nouvelle dictature. Il détaille la psychologie de ces individus qui passent d’un quasi statut d’esclave à celui de bourreau. Parmi les cent quatre-vingt personnes du camp, il compose un large éventail de caractères tenant compte du contexte brutal et des conséquences de plusieurs années d’asservissement dans ce camp de travail, véritable camp de concentration.
Avec l’épuisement physique et moral nombre de ces hommes ne sont plus capables de prendre des décisions, ne sont bons qu’à obéir, à être des exécutants.
“Ils sont partis”. C’est l’incompréhension en ce mois de janvier 1945 ! À l’aube, la troupe de soldats a abandonné le camp de travail de Medved’, au cœur des monts Tatras, en Slovaquie. Les détenus n’en reviennent pas. Dankso est le premier à réagir. Il demande des électriciens pour mesurer les dégâts que les Allemands ont occasionnés à la centrale électrique. Un groupe auquel se joint Elde, un garçon de treize ans, va vérifier l’état des ponts, seules sorties de l’enclave. Le vieux pont routier est piégé, un homme meurt en tentant de passer. Le pont de chemin de fer ouvre sur une voie impraticable.
Ils sont bloqués. Cette communauté de travailleurs, autre nom de prisonniers, est composée de slovaques, d’une communauté d’une vingtaine de femmes et d’un groupe d’Italiens considérés comme la lie dans cette assemblée de malheureux. Dankso, qui a assuré une certaine cohésion dans le camp, compose un gouvernement. Et la nouvelle vie s’organise. Mais, très vite, des tensions se font jour et la situation va empirer au fur et à mesure de la prise de pouvoir de Dankso. Il instaure une véritable dictature faisant presque autant de morts que la tyrannie nazie…
C’est Elde, de son vrai prénom Mathias, qui raconte les événements qui se succèdent lors de ces quelques jours de liberté et la bascule de la communauté.
Philippe Carrese met en place les différentes étapes menant au totalitarisme, instaurant l’autoritarisme, la démagogie, l’élimination des opposants, la désignation de boucs émissaires puis la mise en place d’un climat de peur et d’insécurité. À travers le récit du jeune garçon, c’est le quotidien du camp où tout manque, une série de portraits, les sentiments, les émotions qui touchent ces hommes et ces femmes. Il décrit, outre les mécanismes de la prise de pouvoir, la capacité de soumission des individus.
Le romancier installe, dans ce cadre terrible, une intrigue fort bien conçue qui amène à une conclusion qui interroge sur l’aboutissement d’une vengeance.
Avec ce roman, Philippe Carrese propose un texte d’une grande dureté, presque désespérant car peut-il y avoir une issue ? Pourquoi cette perpétuelle émergence de tyrans, même au plus niveau ?
Est-ce une malédiction, la nécessité pour certains de d’acquérir toujours plus d’avantages, d’avoir le sentiment d’être supérieur, de ne se sentir vivre que dans la griserie du pouvoir ?
serge perraud
Philippe Carrese, Enclave, Éditions de l’aube, coll. “Mikrós littérature”, janvier 2019, 368 p. – 14,00 €.