Il est toujours possible d’étendre la notion d’oeuvre d’art. C’est aussi l’occasion de sa remise en question. Non seulement l’œuvre reste d’une certaine façon en travail avec celles de sa génération mais elle crée parfois une variable jusqu’à l’intégration ou l’effacement.
C’est ce qui retient Denys Riout ici. Et l’auteur de préciser : “L’invisibilité des « œuvres invisibles » n’est nullement due à des circonstances malheureuses, perte ou destruction. Elles ont été pensées comme telles par des artistes qui ont sciemment décidé de les offrir aux amateurs sans les leur donner à voir, ou fort peu.” Et l’auteur propose des éléments d’explication afin que les regardeurs ne soient pas trop démunis devant les œuvres les plus déconcertantes de l’art du XXe siècle.
La plupart ont une existence matérielle avérée. Certaines négligent la vue et mobilisent l’ouïe, l’odorat, le goût, le toucher. Quant aux œuvres qui pourraient être visibles si l’artiste n’en avait pas décidé autrement, elles sont cachées ou occultées afin que nous ne puissions les regarder.
Dès lors, divers processus d’effacement créent un bouleversement dans le rapport aux arts dits visuels. Riout les explore d’autant que jusque là elles n’ont pas été intégrées au discours esthétique ou bien peu. Et ce, parce que leur sens est beaucoup plus difficile à décrypter qu’il n’y paraît au sein d’un ensemble idéologique, d’une culture.
Denys Riout présente une genèse des idées et des “objets” où se tressent des fils qui poursuivent leur propre aventure. Ces fils, ce sont de grandes problématiques qui se développent, en croisent d’autres, changent de direction, se métamorphosent là où les arttistes s’approprient les matériaux les plus variés.
Loin de toute position polémique ou militante, l’auteur adopte dans son livre le parti de l’observateur et de l’analyste des mutations esthétiques. Elles confèrent une manière de légitimité à des pratiques ou des conceptions jusqu’alors bannies et où l’art est en proie à une « dé-définition » (Rosenberg).
L’auteur examine les changements d’attitude ou de comportement que tout le chambardement de l’art exige pour aller plus loin. Il s’agit d’explorer les marges et de tenter des réhabilitations là la notion de vainqueur est bien relative. Informations, mises en perspective, démarches des œuvres qui se heurtent à l’incompréhension et suscitent encore des rejets violents offrent des éléments d’intellectualisation pour que nous puissions mieux regarder, puis juger plus sereinement ce qui se voit “mal”.
Dans le foisonnement de l’art du XXe et XXIe siècles, l’essayiste dégage une ligne de force hybride pour la rendre plus claire.
Jean-Paul Gavard-Perret
Denys Riout, Portes closes et œuvres invisibles, Gallimard, collection Art et artistes, Paris, 2019.
(ndlr : dans cet article, les œuvres sont “tues” à dessein pour faire écho à l’objet du livre)