Henri Murger, Scènes de la vie de bohème

 ”— Sacre­bleu ! […] ma pen­dule à plumes avance, il n’est pas pos­sible qu’il soit déjà aujourd’hui.”
 

 La bohème est à la mode en cette fin d’année (faut-il l’interpréter comme une consé­quence du retour de la Gauche aux Affaires ?). En même temps que l’exposition « Bohèmes » au Grand-Palais (jusqu’au 14 jan­vier 2013 : elle est excel­lente, courez-y !), le Musée de Mont­martre pro­pose une expo­si­tion « Autour du Chat Noir : arts & plai­sirs à Mont­martre, 1880–1910 » tout aussi fon­da­men­tale, qui mérite le détour et assure le renou­veau du Musée. Fort à point paraît le célèbre ouvrage de Mur­ger, fon­da­teur d’une théo­rie du bohème et géni­teur d’une filia­tion lit­té­raire qui le dépasse. San­drine Ber­the­lot en donne une édi­tion savante chez GF.

Lédi­tion com­mence par une pré­sen­ta­tion, qui a le mérite de situer l’œuvre en contexte : on com­prend ainsi que Mur­ger a mis beau­coup de soi-même dans l’œuvre. Dans une pre­mière par­tie de cette pré­sen­ta­tion sont ana­ly­sées au fur et à mesure les ori­gines de Mur­ger et sa vie de bohème, ses débuts lit­té­raires, la nais­sance des Scènes, leur adap­ta­tion au théâtre (sans laquelle il n’est pas de suc­cès lit­té­raire réel au XIXe siècle !), la paru­tion du volume. Ces don­nées tech­niques et fac­tuelles sont inté­res­santes, et indis­pen­sables à l’approfondissement pour qui veut étu­dier l’ouvrage. La deuxième par­tie de la pré­sen­ta­tion s’intéresse aux « repré­sen­ta­tions de la bohème », et en pro­pose une ana­lyse cri­tique. Un troi­sième moment dans la pré­sen­ta­tion fait le tour esthé­tique de l’œuvre, étu­diant le style jour­na­lis­tique, la langue de l’atelier, les rela­tions avec l’école romantique.

Suit le livre de Mur­ger : c’est une édi­tion éru­dite qui en est pro­po­sée, les notes savantes (repor­tées en fin de volume) éclai­rant le moindre aspect tant soit peu obs­cur du texte, la plus petite allu­sion his­to­rique, lit­té­raire, ou artis­tique. C’est même un réel plai­sir de déce­ler des indices nou­veaux dans ce texte connu, et les notes servent le texte, même si l’on peut déplo­rer quelques remarques qui semblent inutiles (le mot « faix » appelle la note « far­deau », par exemple). Mais ces cas sont très rares, et l’ensemble réel­le­ment inté­res­sant, et d’un drôle réel. C’est un vrai plai­sir à lire !
L’édition est com­plé­tée d’un dos­sier d’annexes : un feuille­ton des mêmes per­son­nages paru en 1849, et une adap­ta­tion théâ­trale (choix de scènes). Une chro­no­lo­gie est ajou­tée, ainsi qu’une courte biblio­gra­phie, qui aurait peut-être gagné à être un peu remise à jour, même si les grands ouvrages sur le sujet s’y trouvent.

 yann-loic andre

Henri Mur­ger, Scènes de la vie de bohème, pré­sen­ta­tion, notes, annexes, chro­no­lo­gie et biblio­gra­phie par San­drine Ber­the­lot, Paris, GF Flam­ma­rion, 2012, 480 p. - 8,90 €.

Extrait du cha­pitre 1

[…] Un matin, c’était le 8 avril, Alexandre Schau­nard, qui culti­vait les deux arts libé­raux de la pein­ture et de la musique, fut brus­que­ment réveillé par le carillon que lui son­nait un coq du voi­si­nage qui lui ser­vait d’horloge.


  — Sacre­bleu ! s’écria Schau­nard, ma pen­dule à plumes avance, il n’est pas pos­sible qu’il soit déjà aujourd’hui.


En disant ces mots, il sauta pré­ci­pi­tam­ment hors d’un meuble de son indus­trieuse inven­tion et qui, jouant le rôle de lit pen­dant la nuit, ce n’est pas pour dire, mais il le jouait bien mal, rem­plis­sait pen­dant le jour le rôle de tous les autres meubles, absents par suite du froid rigou­reux qui avait signalé le pré­cé­dent hiver : une espèce de meuble maître-Jacques, comme on voit.


  Pour se garan­tir des mor­sures d’une bise mati­nale, Schau­nard passa à la hâte un jupon de satin rose semé d’étoiles en pailleté, et qui lui ser­vait de robe de chambre. Cet ori­peau avait été, une nuit de bal mas­qué, oublié chez l’artiste par une folie qui avait com­mis celle de se lais­ser prendre aux fal­la­cieuses pro­messes de Schau­nard, lequel, déguisé en mar­quis de Mon­dor, fai­sait réson­ner dans ses poches les sono­ri­tés séduc­trices d’une dou­zaine d’écus, mon­naie de fan­tai­sie, décou­pée à l’emporte-pièce dans une plaque de métal, et emprun­tée aux acces­soires d’un théâtre. […]

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