Traduction des mots par les images
Le troisième film de Nadav Lapid est très autobiographique. Parti pour être français (dont il ne connaît que Céline Dion…) mais cherchant un pays où il n’y a plus de religion et où Dieu n’existe pas, le héros fuit son passé israélien. Il s’agit donc d’un film d’abjuration. Mais aussi de rédemption à travers la langue tierce d’un réalisateur qui y trouve de la magie dans le sordide, l’obscène comme dans la beauté.
Nadav Lapid crée son envol même si l’acteur (ou le héros) semble le vampiriser comme s’il allait lui même devenir auteur et quelqu’un d’autre. Il ne veut plus parler hébreux, cherche à fuir Israël en une sorte de défi radical dans ce qui pourrait sembler d’abord une mutilation.
La découverte du français d’abord mythique va se banaliser avec le temps. Mais le protagoniste entretien avec la langue un rapport corporel. Il danse les mots, se bat avec eux dans un rapport très personnel. Si l’hébreux est pour lui transparent, cette langue a été volé aux poètes par les guerriers. Et le héros ressuscite en français après une première mésaventure dont un couple le sauve.
Une relation se crée entre celui-ci et le héros, entre la richesse et la pauvreté et le choc des cultures, bref dans la différence au sein d’une même affection là où les rôles deviennent interchangeables.
Synonymes devient un parcours initiatique vers une vérité par-delà une blessure originaire. Le héros choisit Hector plus qu’Achille, les perdants contre les gagnants à l’opposé du mythe du soldat israélien. Celui-ci se pense parfois immunisé contre la mort, le service militaire devenant pour un jeune israélien la noce suprême, le moment crucial qui façonne une conscience.
Mais ce transfert d’un pays à l’autre va créer une identité non autre mais différente. C’est un moyen, par ce départ, de revenir à des racines. Si bien que la patrie qui lui faisait honte va créer, vue de loin, une nouvelle appartenance. Il s’agit moins de régler des comptes que de créer une histoire d’amour et de haine, autant avec le pays d’origine que le pays d’accueil.
Tout joue entre la honte et la fierté, la revendication d’être soi contre l’aliénation du dehors et du dedans. Toute parole est remise en question à travers le filmique le plus accompli.
Il fait passer bien des vibrations qui ont permis au film d’obtenir “L’ours d’or” à Berlin.
jean-paul gavard-perret
De : Nadav Lapid
Avec : Tom Mercier, Quentin Dolmaire, Louise Chevillotte
Genre : Drame
Date de sortie : 27 mars 2019
Durée : 2H03mn
Synopsis
Yoav, un jeune Israélien, atterrit à Paris, avec l’espoir que la France et la langue française le sauveront de la folie de son pays.