Toujours original, Yves Ravey nous emporte ici en Californie à la lisière du polar et de la drôlerie (deux de ses dadas malicieux). Son inspecteur Kowalski (mais il n’est pas le seul) permet de jouer avec les codes hollywoodiens du cinéma et des séries, de pour une étude de la médiocrité humaine.
Fidèle à son écriture, le texte avance par fragments, strates, flèches au moment où l’histoire policière a priori banale n’empêche plus les sentiments (ce qui est rare chez Ravey). Certes, ils apparaissent parcimonieusement mais sont bien là.
Rien en effet n’est appuyé. Tout est écrit au fil de rasoir entre l’humour et une longue attente de ce qu’on sait pourtant puisque tout semble plié dès le début du livre selon ce qu’on nommera “le principe Colombo”. Mais ce qui intéresse le lecteur est moins la résolution d’une énigme que le réel et sa reconstruction ironique là là où, pourtant, tout est apparemment livré en dissolution sous forme de codes (Hollywood, polar, etc.).
Mais le fatum est présent. Il devient le couvercle d’un livre dont le héros déclassé semble venir de nulle part. Pris au sein d’une sorte de lutte des classes implicite et larvée via une belle famille qui va finir jusqu’à le lyncher dans un combat à mort où ce n’est pas seulement l’épouse qui est trucidée mais celui qui est pris dans une impasse.
La force de livre tient à une sorte d’indicible qui fait le charme des “Ravey parties”. Rien n’est démontré. Les indices des motivations ne sont donnés qu’au compte-gouttes là où tout est pourtant soumis à une vie matérielle dont la fin du livre donne la clé. Par éparpillements de détails, l’auteur à la fois respecte et caricature les règles du polar à coup de clins d’oeil (la douche de Psychose“par exemple) afin de créer un portrait social et psychologique qui passe non par des avis subjectifs mais des détails et anecdotes balayés très vite.
Offerte sous une forme de jeu entre décor en stuc et densité humaine, la parole du narrateur ne cesse de complexifier l’ensemble pour mieux séduire le lecteur au sein d’un roman court, tendu comme un string. Il ne cache rien de mou ou d’artificiel, là où pourtant tout aurait pu l’être.
Mais le talent de Ravey est là pour sauver la mise et cette forme de strip-tease californien.
jean-paul gavard-perret
Yves Ravey, Pas dupe, Editions de Minuit, Paris, 2019, 144 p. — 14, 50 €.