Les nouvelles réunies ici ont paru entre 1994 et 2006. Elles annoncent les romans postérieurs de la créatrice haïtienne. S’y découvrent déjà des visions quasi magiques de l’île mais aussi sa violence. Tout se mêle : croyances chamaniques et difficultés vitales ensemencées néanmoins de merveilleux pour survivre.
La force d’une écriture claire et lourde d’émotion est saisissante. L’auteure ramène au courage des femmes souvent plus endurantes que leurs hommes. Des forces torrentielles soulèvent le quotidien en dépit de la peur qui rôde. Nous devenons partie prenante de tels héroïnes et héros arrimés à la misère. Ils s’arrachent à l’écume des jours par des chants nocturnes – histoire de se rattacher à des paradis perdus même s’ils n’ont jamais existé.
Yanick Lahens est dans ses nouvelles encore plus magicienne que dans ses romans. A l’épreuve de sa langue, la condition humaine des insulaires prend une autre dimension. Existe là une « dépense » vitale nécessaire au sein même du rien qui est le lot de la plupart des personnages. Se découvre une écriture autant de l’altérité que de l’hétérogène tant nous sommes près de ce monde dont pourtant nous ignorons presque tout.
C’est une manière de remettre les montres des lecteurs européens à l’heure et de réviser leurs problèmes même lorsque ceux-là se croient les les plus démunis de la Terre. Ils ne peuvent plus prétendre que la misère est plus douce au soleil et apprennent non seulement ce que l’abnégation veut dire mais ce que représente la lutte lorsqu’on ne peut compter que sur ses semblables, frères et soeurs et ce, même si la pauvreté les pousse parfois à des trahisons.
Il est vrai que, lorsqu’ils allument des chandelles, les nouveaux Néron les accusent facilement de mettre le feu à Port au Prince. Mais ces mèches de chandelles, par l’écriture de l’auteure, peuvent devenir un fil d’Ariane pour les victimes de la guerre civile et de la misère.
Dans l’espoir que sous les arpents de la lune, les aiguilles de leurs montres à deux sous aient l’air de deux petits poissons d’or. Elles indiqueront peut-être enfin des lendemains moins lourds mais où la magie suivra son cours.
jean-paul gavard-perret
Yanick Lahens, L’Oiseau Parker dans la nuit et autres nouvelles, Sabine Weispeser, 2019, 312 p.- 22,00 €.