Paris, 1938. Nestor, le détective privé de l’agence Bohman, est chargé de retrouver Aude Beaupréau…
On retrouve Nestor, le détective privé et de choc de l’agence Bohman, jouant au pisteur de maris ou de femmes infidèles dans le Paris de 1938. Paris exacerbé, Paris cosmopolite. Paris carrefour de l’Europe, cerné par la nouvelle U.R.S.S, ses agents du N.K.V.D. et ses opposants trotskistes, cerné par l’arrivée des dictatures en Allemagne et en Italie — et par l’intrusion de la Cagoule, police secrète de Mussolini, cerné surtout par l’Espagne qui vire franquiste à cause aussi de tous les pays précédents. C’est dans ce Paris-là que Nestor, dit Pipette, est chargé de retrouver Aude Beaupréau, jeune fille écervelée partie trouver le bonheur entre les bras d’un séducteur nommé Pietro Lema.
Le problème est qu’on ne lui dit pas la vérité à Nestor. C’est carrément une contre-vérité qu’on lui inculque. Heureusement pour lui, il rencontre tout au long de cette enquête de vieux amis dont Corback, alias Corbeau, alias Swami, croque-mort le jour, mage ensorceleur la nuit. Il rencontre surtout André Breton, le chantre du surréalisme qui lui en présentera d’autres, d’amis, tous issus d’une guerre d’Espagne, tous pourvus d’idéaux justes parce qu’ils y croient jusqu’au bout des ongles. Qu’ils soient staliniens, membres du Poum, secrétaires en retraite de Trotski ou affréteurs de France Navigation, compagnie occulte qui entretient la liaison entre Moscou et l’Espagne via la France. Bref, tous les chemins mènent en Espagne et si Pietro Lema n’est pas le mort décapité découvert dans la Seine, il fait sûrement partie de tous ces agents soviétiques que Moscou convoque pour leur communiquer des instructions complémentaires, et justifier ses procès, ses purges.
L’agent nettoyeur est dans Paris. Boris, qu’il s’appelle. Et il faut à tout prix le retrouver. Car si Staline ne peut être puni, ses mains le peuvent. Nestor a de la chance : après un bref intermède avec Serpent et Gros Tarin, deux inspecteurs subtils à la main lourde, il atterrit entre les pattes de l’inspecteur Bailly, aussi compétent qu’humaniste. Et c’est grâce à la confiance mutuelle qu’ils s’accordent que leur enquête sera couronnée de succès.
Reprendre un personnage n’est jamais chose facile. Créer un pastiche digne de ce nom ne l’est pas non plus. Patrick Pécherot n’a pas encore l’aura d’un Léo Malet. Peut-être ne l’aura-t-il jamais. Toujours est-il qu’il est un digne descendant des Surréalistes et que son écriture ne dépare pas à côté de celle d’un Léo ou d’un André Breton. La veine y est, comme on dit et c’est un véritable plaisir de le voir jouer avec les mots, de le voir mêler argot, surnoms décapants et décapés et belle langue. Il a créé, autour de Nestor — qu’il n’appelle jamais, touchant respect, par son nom, se permettant juste un “Nes” familier — et d’André Breton des personnages attirants et qui nous deviennent chers. Du pauvre Bohman, patron d’agence aveugle mais réglo à Yvette, secrétaire aux oreilles qui traînent et qui n’est pas sans rappeler la belle Hélène des Nouveaux mystères de Paris, tous ne sont pas des protagonistes de passage mais de vrais seconds rôles étoffés par des descriptions fouillées et aguichantes. L’intrigue a le mérite de ne jamais s’essouffler, d’être touffue, complexe, et de nous faire revivre une époque belle mais angoissante : celle de l’entre-deux-guerres où se profilent les moments graves qui sonneront une seconde fois le glas de la veille Europe. Après Les Brouillards de la butte (Série Noire n° 2606 - Grand prix de la littérature policière 2002), Patrick Pécherot confirme son aptitude surréaliste !
julien védrenne
Patrick Pécherot, Belleville Barcelone, Gallimard Série Noire n°2695, nov. 2003, 243 p. — 8,00 €. |