Raúl n’aime pas l’école. Il est né dans un quartier défavorisé de Buenos Aires où les seules possibilités, avec un unique terrain de sable dur, sont le foot ou le rugby. Il aime jouer au rugby et voudrait jouer tout le temps. C’est son prof de gym qui le fait entrer dans l’équipe de La Plata où officie Hugo Passarella, un coach exigeant. Il est infirme, sa jambe gauche a été éclatée lors d’un match. Sous l’impulsion de cet entraîneur qui ne laisse rien passer, l’équipe progresse et s’élève dans le championnat.
Raúl vit avec Teresa. C’est elle qui fait bouillir la marmite car, en dehors du jeu, il fait semblant de faire de la mécanique. Il rentre après le match car il lui a promis de passer un samedi par mois avec elle. Il dépose Javier, son ami, surnommé Mono, un étudiant. Après que Raúl soit parti, il est enlevé devant sa mère immobilisée par deux colosses.
Comme il est absent de l’entrainement, Raul passe se renseigner. Une voisine lui indique qu’ils ont été emmenés. Quand on le retrouve, il flotte dans le rio de La Plata, les mains liées dans le dos, un trou dans la nuque. C’est lors du match suivant, que les gars de l’équipe imposent une minute de silence avant de jouer, une minute qui se prolonge, sans que personne ne bouge dans le stade bondé. Mais, à la fin de la partie, un petit homme boiteux…
Au siècle dernier, l’Argentine a subi plusieurs dictatures. Mais la plus terrible reste celle de la junte militaire dirigée par le général Jorge Rafael Videla qui sévit de 1976 à 1983. Celui-ci avait déclaré : “On éliminera d’abord les subversifs, puis leurs amis et enfin les indécis.” C’est lors d’un de ses voyages en Argentine que Claudio Fava, homme politique italien engagé, lit un article de Gustavo Veiga qui relate l’histoire de cette équipe de rugby. Ce dernier avait rencontré le seul survivant.
Claudio Fava a voulu rendre hommage à ces joueurs. Après moult recherches sur les lieux, le recueil de témoignages, il a souhaité raconter leur histoire à travers un récit basé sur les faits authentiques. Cependant, il a souhaité développer : « …des pensées, des gestes de ces garçons qui choisirent de rester et de mourir. »
C’est par des silences suivis par tous les participants des stades que la junte a été défiée. Claudio Fava, dans un souci d’honnêteté intellectuelle, met en scène, anime également des tortionnaires, des hommes au service de la répression. Cette année 1978, où s’est déroulée cette histoire, est particulièrement intense en matière de répression, d’enlèvements, de disparitions.
La Coupe du monde de fútbol se déroule dans le pays. Le “monde entier”, enfin les amateurs de ce sport, aura les yeux braqués sur l’Argentine. Cependant peu, parmi cette catégorie de population, s’intéresse à autre chose que ce qui se passe dans les stades, voulant ignorer les horreurs de l’ESMA (Escuela de Mecánica de la Armada) lieu de tortures et d’exécutions.
Silencios est une narration ouverte sur le rugby, sur l’amitié entre joueurs, mais un texte dur, terrible avec le contexte dans lequel se déroule l’action. C’est un livre à fréquenter pour ne pas oublier de lutter contre toutes les dictatures, surtout celles qui avancent masquées.
serge perraud
Claudio Fava, Silencios (Mar des Plata), traduit de l’italien par Dominique Manotti & Alexandre Bilous, J’ai Lu n° 12149, novembre 2018, 129 p. – 5,00 €.