Claudio Fava, Silencios

Le défi à la dictature !

Raúl n’aime pas l’école. Il est né dans un quar­tier défa­vo­risé de Bue­nos Aires où les seules pos­si­bi­li­tés, avec un unique ter­rain de sable dur, sont le foot ou le rugby. Il aime jouer au rugby et vou­drait jouer tout le temps. C’est son prof de gym qui le fait entrer dans l’équipe de La Plata où offi­cie Hugo Pas­sa­rella, un coach exi­geant. Il est infirme, sa jambe gauche a été écla­tée lors d’un match. Sous l’impulsion de cet entraî­neur qui ne laisse rien pas­ser, l’équipe pro­gresse et s’élève dans le cham­pion­nat.
Raúl vit avec Teresa. C’est elle qui fait bouillir la mar­mite car, en dehors du jeu, il fait sem­blant de faire de la méca­nique. Il rentre après le match car il lui a pro­mis de pas­ser un samedi par mois avec elle. Il dépose Javier, son ami, sur­nommé Mono, un étu­diant. Après que Raúl soit parti, il est enlevé devant sa mère immo­bi­li­sée par deux colosses.
Comme il est absent de l’entrainement, Raul passe se ren­sei­gner. Une voi­sine lui indique qu’ils ont été emme­nés. Quand on le retrouve, il flotte dans le rio de La Plata, les mains liées dans le dos, un trou dans la nuque. C’est lors du match sui­vant, que les gars de l’équipe imposent une minute de silence avant de jouer, une minute qui se pro­longe, sans que per­sonne ne bouge dans le stade bondé. Mais, à la fin de la par­tie, un petit homme boiteux…

Au siècle der­nier, l’Argentine a subi plu­sieurs dic­ta­tures. Mais la plus ter­rible reste celle de la junte mili­taire diri­gée par le géné­ral Jorge Rafael Videla qui sévit de 1976 à 1983. Celui-ci avait déclaré : “On éli­mi­nera d’abord les sub­ver­sifs, puis leurs amis et enfin les indé­cis.” C’est lors d’un de ses voyages en Argen­tine que Clau­dio Fava, homme poli­tique ita­lien engagé, lit un article de Gus­tavo Veiga qui relate l’histoire de cette équipe de rugby. Ce der­nier avait ren­con­tré le seul sur­vi­vant.
Clau­dio Fava a voulu rendre hom­mage à ces joueurs. Après moult recherches sur les lieux, le recueil de témoi­gnages, il a sou­haité racon­ter leur his­toire à tra­vers un récit basé sur les faits authen­tiques. Cepen­dant, il a sou­haité déve­lop­per : « …des pen­sées, des gestes de ces gar­çons qui choi­sirent de res­ter et de mourir. »

C’est par des silences sui­vis par tous les par­ti­ci­pants des stades que la junte a été défiée. Clau­dio Fava, dans un souci d’honnêteté intel­lec­tuelle, met en scène, anime éga­le­ment des tor­tion­naires, des hommes au ser­vice de la répres­sion. Cette année 1978, où s’est dérou­lée cette his­toire, est par­ti­cu­liè­re­ment intense en matière de répres­sion, d’enlèvements, de dis­pa­ri­tions.
La Coupe du monde de fút­bol se déroule dans le pays. Le “monde entier”, enfin les ama­teurs de ce sport, aura les yeux bra­qués sur l’Argentine. Cepen­dant peu, parmi cette caté­go­rie de popu­la­tion, s’intéresse à autre chose que ce qui se passe dans les stades, vou­lant igno­rer les hor­reurs de l’ESMA (Escuela de Mecá­nica de la Armada) lieu de tor­tures et d’exécutions.

Silen­cios est une nar­ra­tion ouverte sur le rugby, sur l’amitié entre joueurs, mais un texte dur, ter­rible avec le contexte dans lequel se déroule l’action. C’est un livre à fré­quen­ter pour ne pas oublier de lut­ter contre toutes les dic­ta­tures, sur­tout celles qui avancent masquées.

serge per­raud

Clau­dio Fava, Silen­cios (Mar des Plata), tra­duit de l’italien par Domi­nique Manotti & Alexandre Bilous, J’ai Lu n° 12149, novembre 2018, 129 p. – 5,00 €.

Leave a Comment

Filed under Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>