Dotée d’une curiosité, d’une activité intellectuelle et d’une énergie hors du commun, libre dans sa tête donc dans ses choix Maïa Mazaurette — journaliste, blogueuse, romancière et artiste - ne s’en contente pas. Sa rage ne passe jamais par l’injure mais par une sorte de discrétion, d’humour, de persuasion incisives contre tous types d’offenses commises envers les identités.
Sachant ce que la volupté engage dans le plus juste rapport des êtres les uns envers les autres, son combat se distingue des mots d’ordre basiques et fragmentaires. Elle crée divers types de rappels pour souligner que le monde crève du manque d’amour et que ceux qui prêchent le respect de l’autre souvent n’agissent guère. Avec une telle “actante”, l’image n’est plus muette et le texte grésille. Chacun est à la fois le distinct et l’oscillant de l’autre afin de renverser — entre autres — un pouvoir masculin abusif et la superficialité des représentations dites de charme.
Contre la frustration exprimée par des injures gratuites, Maïa Mazurette ne cesse de réagir par des interventions qui n’ont rien de passives et gardent le mérite de permettre d’envisager la vie et d’ouvrir les yeux.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’envie et l’enthousiasme. J’ai une liste interminable de projets, à laquelle je rajoute constamment de nouveaux éléments. Je m’y attaque avec les dents chaque jour. Du coup, je suis incapable de rester même cinq minutes au lit (au grand désespoir de mon cher et tendre).
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Tous accomplis, la plupart avant mes 22 ans. Mais je rêvais bas.
A quoi avez-vous renoncé ?
A strictement rien. J’ai même plutôt relevé la barre.
D’où venez-vous ?
Je suis née à Paris, j’ai grandi géographiquement en banlieue mais émotionnellement dans la garrigue du Vaucluse. C’est là que je « rentre ». Mais depuis mes douze années d’expatriations, je viens surtout d’un mille-feuilles culturel. Petit-déjeuner allemand, déco danoise et milieu américain !
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Un vide intentionnel. C’était à moi de trouver mes valeurs. Je suis ravie d’avoir eu cet espace — de n’avoir pas eu à sortir la pelleteuse avant de construire ma propre tourelle intellectuelle.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le vin d’Europe de l’Est. Plaisir quasi quotidien !
Qu’est-ce qui vous distingue des autres créateurs et écrivains ?
A l’arrivée, c’est le croisement des trajectoires les plus improbables et des événements les plus incohérents qui produit l’étincelle. Je m’intéresse à la sexualité, au déracinement, à la politique, au conflit inter-générationnel, à Alexandre le Grand, à la science-fiction et à l’art contemporain. Tout ça n’a rien à voir, a priori… et pourtant ce chaos donne un angle spécifique à mes raisonnements. Ah et aussi : j’ai les épaule solides. Par rapport à des amis auteurs plus sensibles, je suis quelqu’un de structuré, pragmatique, discipliné. Pas dans le cliché de l’auteur typique, donc.
Comment définiriez-vous votre approche de la sexualité ?
Fluide, éthique. On ne plaisante pas avec la dignité, mais ensuite, si les gens veulent lécher des lampes de chevet, amen. Je suis incapable de juger moralement les préférences — je ne veux pas, mais surtout, je ne peux pas. C’est très bien comme ça.
Comment agencez vous votre travail littéraire et plastique ?
Les deux se complètent naturellement, intuitivement. Je commence généralement par la peinture ! Ça me réveille l’esprit critique et ça m’élève le moral. Mais une peinture peut aboutir en chronique !
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Cronos dévorant ses enfants sur ma table de nuit pendant des années, en couverture d’un bouquin sur la mythologie grecque. Pour moi, cette peinture de Goya révèle la tension la plus essentielle de l’humanité. Elle est incroyablement juste. Et menaçante.
Et votre première lecture ?
Impossible à dire. J’ai toujours lu tout ce qui me passait sous la main. La première lecture qui a changé ma vie, c’était “Le Deuxième Sexe” de Simone de Beauvoir. A partir de ce moment-là j’étais libre. Et j’ai exercé cette liberté.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Quasiment aucune. Nous sommes tellement saturés de musique en permanence ! Je trouve ça oppressant. Quand ça me prend, de la musique classique… mais peut-être une fois par mois maximum ! (Et certainement jamais quand je travaille !)
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Le seigneur des anneaux”. J’ai une mémoire nulle — j’oublie tous les rebondissements à chaque fois, mais j’aime toujours autant l’ambition de Tolkien.
Quel film vous fait pleurer ?
Je pleure rarement. La dernière fois c’était devant “A Ghost Story”. L’avant-dernière fois devant “Manchester by the sea”… et c’est le même acteur ! Je devrais me méfier.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi. En me regardant, on peut connaître mes souvenirs, mes réflexes, ma personnalité. La transparence totale (d’autant que je suis à peu près incapable de mentir). Ça me plaît beaucoup, comme forme d’auto-incarnation. Vivement mes 100 ans !
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Personne. Je n’ai jamais ressenti de soucis de légitimité : elle se gagne justement en agissant, elle n’est pas pré-acquise. Il faut faire, faire, faire.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
L’Athènes antique. L’Athènes moderne n’est pas mal non plus…
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Amicalement, un tas. Artistiquement c’est autre chose… Catherine Dufour, peut-être.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Rien qui s’achète. Du temps, sans doute ! Du temps au musée, ou avec un bon verre de vin, ou avec un chat sur les genoux.
Que défendez-vous ?
L’accès à une vie aussi large que possible. L’existence liquide de Zigmunt Bauman.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Je ne suis fan ni des aphorismes faciles ni des psychanalystes.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
De la part d’un abuseur sexuel notoire, c’est d’assez mauvais goût.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Celle qui conditionne mes journées : il fait beau, dehors ? (malheureusement la réponse est non.)
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com le 8 janvier 2019.