Lorsque le public s’installe dans la salle, des termes québécois sont projetés avec leur définition, sur fond sonore d’une partie de bingo au cours de laquelle les chiffres sont dits en français et en innu. Un Québécois entre et présente son projet d’écrire sur les réserves amérindiennes, lequel est en suspens, inabouti. Faute de donner à voir une pièce, il livre des images et des histoires de vie, sous la forme du compte rendu de son voyage sur les routes et de son circuit intérieur. Sur l’intégralité du plan de fond de scène, on découvre les réserves, qui se présentent comme des bungalows désertés le long de la route 132.
L’intention de l’auteur de dépasser l’appréhension statistique des autochtones et des dommages qu’ils ont subis se trouve mise en échec par leur sensibilité comme éteinte, leur honte à dire et à se dire. Racontant le calvaire de leur éducation par contrainte de corps, les Amérindiens s’expriment en hésitant entre langue forcée et langue oubliée/retrouvée. La détestation de soi inoculée par les Blancs se transmet de génération en génération depuis le Savage Act de 1876.
Dans ce road-trip qui présente de belles perspectives filmées en séquences volontairement disjointes les unes des autres, on ressent la petitesse des nations face à l’immensité du territoire. Les différents témoignages expriment le désarroi des Indiens prisonniers d’un extérieur hostile et d’une intériorité vidée de ses substances.
On assiste à un spectacle paradoxal : l’auteur raconte ses perplexités dans sa quête qui se révèle vouée à être indéfinie, presque sans objet, tant ce peuple dit la béance laissée par une identité arrachée. Les comédiens amérindiens n’incarnent pas les personnages singuliers dont ils livrent la parole ; d’autres témoignent à travers eux, si bien que les voix déliées, les expériences apparaissent encore trop génériques.
On risque alors de ne retenir du spectacle que sa démarche militante, soutenue par de belles images — un manifeste pour les nations et leur diversité. Le spectacle reste kaléidoscopique, fait de vues sans lecture affirmée, sans que ne se dégage un fil directeur dramatique qui aurait permis de partager véritablement l’intensité du voyage.
christophe giolito & manon pouliot
La cartomancie du territoire
texte et mise en scène Philippe Ducros
avec Marco Collin, Philippe Ducros et Kathia Rock
Assistant à la mise en scène et régie Jean Gaudreau ; direction de production Marie-Hélène Dufort ; répétiteur Xavier Huard ; images Éli Laliberté ; conception vidéo Thomas Payette / HUB Studio ; intégration vidéo Antonin Gougeon / Hub Studio ; éclairages Thomas Godefroid ; musique Florent Vollant ; conception sonore Larsen Lupinproduction ; traduction vers l’innu-aimun Bertha Basilish, Evelyne St-Onge.
A la Maison des Métallos,
94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris. Tél. 01 47 00 25 20
du 11 au 16 décembre 2018, mardi, mercredi, vendredi à 20h
jeudi, samedi à 19h, dimanche à 16h. Durée 1h15.
Spectacle créé le 27 mars 2018 à Montréal (Québec).
Production Les productions Hôtel-Motel.
Nous remercions le Conseil des arts de Montréal, le Conseil des arts et des lettres du Québec, ainsi que le Conseil des arts du Canada de leur soutien.
Ce spectacle a également bénéficié d’une résidence de création chez Recto-Verso
avec le soutien de la Délégation générale du Québec à Paris.
Texte publié aux éditions Atelier 10.