Arni Thorarinsson, Treize jours

Le monde trou­blant et trou­blé des adolescents…

Le roman est construit autour de la dis­pa­ri­tion et de l’assassinat de Klara Osk. Arni Tho­ra­rins­son s’appuie sur les diverses pos­si­bi­li­tés que lui donne un tel fait divers pour explo­rer le monde du jour­na­lisme, celui des milieux inter­lopes où cir­culent la drogue, l’alcool et qui ouvre la voie à la pros­ti­tu­tion.
Il dépeint éga­le­ment une évo­lu­tion de la société islan­daise, une évo­lu­tion que l’on retrouve, hélas, sur la quasi-totalité de la pla­nète : “La société islan­daise, autre­fois humaine, est deve­nue mau­vaise, le res­pect mutuel est en voie de dis­pa­ri­tion… l’argent a pris le pas sur les autres valeurs, l’injustice a triom­phé de la jus­tice.”

Gunnsa, Gudrun Einars­dot­tir, est inter­ro­gée par un poli­cier qu’elle semble bien connaître car elle le tutoie.
Au Jour­nal du soir, Einar reçoit la visite d’un homme for­te­ment alcoo­lisé. Celui-ci lui demande de venir en aide à Klara Osk, une ado­les­cente de quinze ans. Le jour­nal a relayé l’avis de recherche, un avis qu’Einar a vu rapi­de­ment, la gamine lui rap­pe­lant sa fille, Gunnsa.
Einar fait office de direc­teur de la rédac­tion depuis la mort de celui qui assu­rait ce poste. Ce der­nier lui a légué ses parts dans le jour­nal. Mais la banque veut un action­naire prin­ci­pal. Une cra­pule de la finance, Hei­mir Bjarn­fells, est sur les rangs. Ses magouilles ayant été dénon­cées par Einar il y a quelques temps, il veut le virer. Cepen­dant, Einar est réti­cent à prendre ce poste. Il vou­drait, dit-il, le lais­ser à Sigurb­jörg, sa col­lègue et com­pagne.
Gunnsa, qui veut être jour­na­liste, et Sigurb­jörg s’attachent au cas de Klara. Elles veulent trai­ter, dans une série d’articles, le pro­blème des jeunes qui fuguent, qui dis­pa­raissent. Elles cherchent à retrou­ver sa trace par le biais des réseaux sociaux. C’est assas­si­née, le bas du corps dénudé, le sexe sac­cagé qu’ils la retrouvent…
Entre­temps, Einar reçoit un ulti­ma­tum de Mar­grét Karls­dot­tir, une avo­cate recher­chée par la police, qui lui donne un délai de treize jours pour la rejoindre. “Je te laisse treize jours. C’est un chiffre plus sympa que qua­torze.” Plus ils pro­gressent dans leur enquête, plus ils découvrent un monde sou­ter­rain, un uni­vers en per­di­tion peu­plé de pré­da­teurs prêts à tout…

A
vec le per­son­nage de Klara Osk, il décrit une jeu­nesse en manque de repères, en manque de gen­tillesse, d’amour. Les parents eux-mêmes sont en dif­fi­cul­tés, sépa­rés, alcoo­li­sés voire dro­gués. Et, comme tou­jours, dans ces périodes inter­lopes, troubles, per­tur­bées, se déve­loppe une faune sans scru­pules, sans la moindre once de morale, juste gui­dée par l’attrait de l’argent, cet argent devenu l’obsession pla­né­taire.
Tho­ra­rins­son décrit le rôle des réseaux sociaux, l’importance prise par ces moyens de com­mu­ni­ca­tion, de ces tis­sus magné­tiques où le quasi ano­ny­mat auto­rise les tor­rents d’ignominie, les fleuves de boue, de veu­le­rie. Tout et n’importe quoi cir­cule sur ces réseaux mani­pu­lables à merci par quelques équipes de spé­cia­listes, des réseaux contrô­lés par des algorithmes !

Le roman­cier, avec la réti­cence de cer­tains jour­na­listes du Jour­nal du soir, exprime la vul­né­ra­bi­lité de ce sys­tème pour des médias, pour la presse écrite. Il indique les abus aux­quels il peut conduire, la perte de déon­to­lo­gie de la pro­fes­sion avec la recherche sys­té­ma­tique et outran­cière du scoop, de l’information livrée sans véri­fi­ca­tions sérieuses, sans recul ni ana­lyse.
Il dresse des por­traits magni­fiques, mais ter­ribles, d’êtres en per­di­tion pour la plu­part. Seules des femmes comme Gunnsa ou Sigurb­jörg émergent et sont suf­fi­sam­ment fortes pour res­ter la tête hors de l’eau.

Avec une belle écri­ture, un rythme sou­tenu, des dia­logues empreint d’une belle réa­lité, par­fois pétillants d’humour ou lais­sant paraître une grande las­si­tude, un aban­don face aux dif­fi­cul­tés, le roman­cier tient son lec­teur en haleine, dis­til­lant une ten­sion jusqu’à une conclu­sion trouble, ambi­guë, d’une belle huma­nité. Car, sait-on jamais à qui on a vrai­ment affaire ? Même ceux dont on par­tage la vie depuis des décen­nies peuvent se révé­ler très inat­ten­dus, sur­pre­nants.
Treize jours
ne sont pas néces­saires pour dévo­rer ce roman à l’intrigue addic­tive, une seule et longue soi­rée suffit !

serge per­raud

Arni Tho­ra­rins­son, Treize jours (13 dagar), tra­duit de l’islandais par Éric Boury, Métai­lié Noir, coll. “Biblio­thèque nor­dique”, octobre 2018, 288 p. – 21,00 €.

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