Dignité de l’absurde ou le paradoxe de l’écrivain
Dans notre société occidentale, l’affirmation du “moi” n’est pas chose négligeable. Chacun rêve d’être célèbre au moins un quart d’heure dans sa vie. Mais, pour les ambitieux, la tentation est plus grande : il s’agit de survivre à la condition de mortel. Les plus humbles ou les plus raisonnables se contentent de procréer. Les plus riches tablent sur leur fortune pour perpétuer leur importance.
Ceux qui hypostasient une survie spirituelle espèrent laisser une oeuvre pour illuminer non seulement le visage de leurs enfants mais celui du monde.Bref, ils font le pari de la postérité littéraire. Et l’auteur accorde à ces êtres bizarres toute sa compassion et sa tendresse amusée. Il sait que cela ne guérit de rien. Et surtout pas de la maladie de la mort. Mais il est plein de condescendance pour ses confrères qui espèrent une immortalité non seulement spirituelle ou symbolique mais littérale.
C’est mal connaître les passes et impasses de la postérité. D’autant qu’en sus, et d’un simple point de vue statistique, elle n’a rien d’universelle. Même un Shakespeare a du souci à se faire : son “empreinte mémorielle” ne représente qu’un très faible pourcentage de lecteurs. Néanmoins, Hoffmann ne veut pas décourager ses alter ego même si sa métaphore informatique déstabilise encore plus la distribution aléatoire des pseudo-couronnes de l’immortalité. Les systèmes informatiques permettent de battre en brèche “la représentation topique du grand écrivain” écrit Hoffmann.
Mais qu’à cela ne tienne. A chaque jour suffit sa peine. Et dans le dur désir de durer, le trajet compte plus que l’objectif. Nul ne peut prévoir ce dernier. “Cultiver son jardin” comme l’écrivait Voltaire doit suffire à sa peine. Lui-même pensait acquérir sa survie par le théâtre. La postérité en a jugé autrement.
jean-paul gavard-perret
Benjamin Hoffmann, Les paradoxes de la postérité, éditions de Minuit, coll. “Paradoxe”, Paris, 2018, 256 p. — 29,00 €.