Dominique Rolin, Lettres à Philippe Sollers (1958 — 1980)

Une femme amoureuse

Après les Lettres de Phi­lippe Sol­lers à Domi­nique Rolin parues l’année der­nière chez le même édi­teur voici « en repons » les lettres de la seconde au pre­mier. Elle le connut lorsqu’il n’avait que 22 ans. La femme belle et mure avait déjà dévoilé ce qui fut un secret (éventé très tôt au sein du milieu ger­ma­no­pra­tin) dans son jour­nal. Il res­tait néan­moins évo­qué de manière codée quoique semée d’indices.
Ces lettres d’une qua­lité rare recons­truisent une his­toire qui fut, bien plus qu’une aven­ture, le par­cours de deux écri­vains dou­blés de deux amou­reux. Domi­nique Rolin s’y retrouve atten­tive et tendre au sein d’une d’introspection et d’aveux, par­fois doux, par­fois plus acerbes. Toute la rela­tion pas­sion­nelle est là. L’écart d’âge (23 ans) ne compte pas même si, au cours de l’évolution dans le temps, il laisse appa­raître — face à la liberté inso­lente de Sol­lers — chez celle qui lui répond amour mais aussi souf­france et lucidité.

La jalou­sie la ronge, car le liber­tin est avide et quelque peu au besoin faux naïf. Du haut de son insou­ciance, il reste le maître du jeu. Et dès 1962,  dans la fic­tion que raconte Sol­lers avec « Une curieuse soli­tude », son aimée trouve  une source d’angoisse. Elle mar­quera l’histoire du couple. Tou­te­fois, les lettres de Domi­nique Rolin sont encore plus fortes que ses pré­cé­dents textes sur la pas­sion vécue en paral­lèle à l’écriture.
Par­fois, les amants tra­vaillent de concert. Néan­moins, Sol­lers reste le chef de ce « léger orchestre ». Il est à la fois « dis­trait et fou d’attention » et c’est bien là le pro­blème, même si au fil du temps les amants trouvent leurs marques et territoires.

Domi­nique Rolin est épis­to­lière au sens plein au moment où, avec sa ver­sion, l’histoire com­mune se com­plète. Les deux visions ne se contre­disent pas, elles se “marient” et  sou­lignent la vio­lence de l’amour mais aussi l’intelligence des pro­ta­go­nistes au sein d’une his­toire en long cours. Les lettres montrent que Sol­lers ne furent pas le seul res­pon­sable des angoisses et peurs de son amou­reuse : elle était tor­tu­rée depuis son enfance. Et si l’amant est par­fois le monstre, il reste celui qui la sort de sa dou­leur, de cer­tains fan­tômes et ses hal­lu­ci­na­tions même s’il en fit naître d’autres.
Deux indi­vi­dua­li­tés sont  en marche avec, en double, leur enfance. Le qua­drige s’inscrit dans cette cor­res­pon­dance croi­sée qui méri­tera plus tard une édi­tion com­mune voire un tome de la Pléiade — tant pour la qua­lité lit­té­raire des lettres que ce qu’elles recèlent : les ques­tions de l’amour et de l’écriture par­ta­gées entre réa­lité et une cer­taine « fic­tion­na­li­sa­tion » jamais dupe d’elle-même.

Au mur qui mor­celle la vie des deux amou­reux fait écho cette langue aussi sen­suelle que céré­brale. Elle ébranle le réel par son “mur­mure”.  Un jeu de l’impalpable illustre com­bien l’écriture ne peut jamais sai­sir d’emblée une vérité ou une fini­tude. L’écriture se heurte à l’inconscient comme la ville à son bou­le­vard de cein­ture.
Trop d’écrivains tentent d’aplanir cet écueil ou feignent de l’ignorer (puisqu’il les dépasse). Domi­nique Rol­lin et Sol­lers, à l’inverse, s’y confrontent. Ce com­bat donne à leur écri­ture amou­reuse une valeur cri­tique, là où la caresse ne se contente pas de la simple loi du logos. Les deux savaient déjà qu’il fal­lait plus : de la musique. Certes, pas “avant toutes choses” mais afin que la pas­sion perdure.

jean-paul gavard-perret

Domi­nique Rolin, Lettres à Phi­lippe Sol­lers (1958 — 1980), Edi­tions de Jean-Luc Outers, Gal­li­mard, coll. Blanche, Paris, 2019.

1 Comment

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One Response to Dominique Rolin, Lettres à Philippe Sollers (1958 — 1980)

  1. Edelweiss

    Par­fois, le bou­le­vard de cein­ture étrangle puis jaillit à nou­veau le souffle inat­tendu au-delà des différences.

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