Ce livre résonne comme un hommage d’un genre particulier. Celui qui, d’abord grâce à son père secrétaire de rédaction de la revue L’Occident, a grandi dans l’ambiance de peintres et d’écrivains avant d’entrer à (et de devenir le directeur influent de) la Bibliothèque Jacques Doucet qu’il a servie pendant 40 ans se livre à un exercice de condensation.
Dans le “repère” qu’anima François Chapon convergèrent les écrivains, les artistes et l’histoire. Dès lors, et au nom de telles hôtes, les “passerelles” auraient pu se transformer en lourds ponts. L’auteur aurait pu les édifier en mausolées en hommage à toutes ses rencontres. Mais il a su se poser la bonne question : “Ces passelles vers quoi ?” Et c’est bien cette question qui fait dévier ce livre et le rend important.
Dans Empreintes sur un buvard (Editions des Cendres), l’auteur avait déjà rassemblé un ensemble de pages de son Journal. Ici, à l’inverse, plus qu’un reliquat ou une somme, il donne les motifs d’une sorte de destruction ou de fin (mais pour une renaissance) : “J’ai quitté, sans jamais y remettre les pieds, la chapelle du saint langage. Je me suis délesté de tout ce qui aurait pesé : les honneurs, un Journal, mes collections, mes toits. L’amour, j’allais le perdre. Je n’ai emporté que la lumière, les sons – « de la musique avant toute chose », bien sûr.“
Le livre tient pourtant d’un inventaire de ces raisons sans s’attarder et sans les moindres règlements de compte que le rôle de l’auteur aurait pu sans douter générés.
Il propose plutôt un exercice d’émerveillement. Mais des “souvenirs”, il ne reste que l’essentiel. François Chapon ne s’attarde pas et ne joue en rien le bravache. Bien au contraire. Ne sont conservées que les émotions majeures, existentielles. L’auteur a donc commis volontairement “Le feu de l’autodafé” quitte à peiner (car ils n’apparaissent plus ici) ceux dont il conserve la mémoire de leur irremplaçable compagnie.
Mais de sa grande famille demeure moins une galerie de portraits que “tout ce qui reste” comme aurait dit Beckett. L’auteur en partage ici le goût de la brièveté et de l’essentialité.
jean-paul gavard-perret
François Chapon, Passerelles, Dessins de Gérard Titus-Carmel, Fata Morgana editions, Fontfroide le Haut, 2018, 64 p.