Flora Bonfanti, Lieux exemplaires

Les nou­veaux rivages de l’imagination spé­cu­la­tive dynamique

Les pos­tu­lats de Flora Bon­fanti sont des pos­tu­lats étranges : « Ceux d’une pen­sée qui s’imagine, immé­dia­te­ment orga­nique, auto­nome, qui se déploie et dérive en expan­sion ». D’où les spé­cu­la­tions que l’auteure pro­pose dans un pre­mier livre qui d’emblée déplace la rai­son là où l’imaginaire devient la folle du logis de la pre­mière. L’écrivaine  elle-même en donne une clé : « Dans les temps éloi­gnés, les hommes avaient six doigts. Le sixième était tou­jours en feu. Il suf­fi­sait de tou­cher du doigt les choses. » Dès lors, la rai­son pos­sède son revers qui se nomme chi­mère. Il peut en être autant du réel et de l’abstraction intel­lec­tuelle : les mon­tagnes pour­raient repous­ser et les idées ne se révé­ler qu’à ceux qui les ont déjà pen­sées.
En de telles hybri­da­tions le livre bouge conti­nuel­le­ment. Tout n’y est pas for­cé­ment léger mais arrache la construc­tion men­tale à ses mon­tages ortho­nor­més. Flora Bon­fanti pro­pose une expé­rience où, sou­dain, l’histoire du monde change de ligne har­mo­nique. Ce qui était consi­déré comme ses secondes et ses tierces prend le des­sus. Le conti­nuum déraille et le texte se « légende » lui-même à tra­vers non ce que le lan­gage exprime mais par sa nature même. Ovide et ses « Méta­mor­phoses » n’ont qu’à bien se tenir. Tout ici est digres­sion infi­nie grâce à la poésie.

Les gens qui s’amusent à dire qu’une hiron­delle a fait le prin­temps com­pren­dront à tra­vers ce livre le doute qu’il y a quelqu’un der­rière, quelqu’un qui tire le rideau de brume comme le fil bleu de l’hirondelle. Peut-être s’agit-il de celui qui tirera sur notre ficelle le jour de notre départ. L’auteure ne le dit pas mais, pour sûr, elle en a fini depuis l’enfance avec les signes de croix, les habits d’officiant et ne va plus à confesse.
Le lec­teur ne son­gera pas à le lui repro­cher. Dans un tel livre, les années ne passent pas len­te­ment, elles ne sont ni soli­taires, calmes ou mono­tones. Elles dépassent les bornes spa­tiales. Le feu du grand ras-le-bol ne fait pas que cou­ver sous les braises, la poé­tesse en lance les flammes telle une ama­zone qui engendre une nou­velle nature. Et quand elle fait mine de se repo­ser, elle remontre sur le voi­lier du lan­gage pour nous por­ter vers de nou­veaux rivages de l’imagination spé­cu­la­tive dynamique.

jean-paul gavard-perret

Flora Bon­fanti, Lieux exem­plaires, Edi­tions Unes, Nice, 2018.

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