Stephen King, Ecriture : Mémoires d’un métier

De l’instinct au mot

À l’âge de six ans, le jeune Ste­phen King demande à sa mère si elle a déjà vu mou­rir quelqu’un. Elle lui décrit la chute à Port­land d’un marin tombé du toit d’un hôtel dans la rue, ajou­tant : “il a giclé de par­tout (…). Et ce qui a giclé de lui était vert. Je ne l’ai jamais oublié.” Et “le King” de sou­li­gner “Moi non plus, M’man.” L’ensemble de ce livre, plus proche de l’essai que du roman, est à l’image de cette remarque : fami­lier, décalé, humo­ris­tique et édi­fiant !
Roman­cier pro­lixe (classé “popu­laire”, à son grand dam), King, la cin­quan­taine pas­sée, est l’auteur de best-sellers voués au para­nor­mal, à la vio­lence, à la ques­tion du mal et à l’imaginaire débridé des enfants : Car­rieSalemLe FléauLa Ligne verteShi­ningMiserySac d’os.

Fau­ché par un van au cours de l’été 99, ses mul­tiples frac­tures et un trau­ma­tisme crâ­nien ont bien failli l’empêcher de reprendre et conclure ces Mémoires d’un métier où il nous livre ses recettes d’écrivain à suc­cès. Ainsi s’expliquent, mêlés à maintes anec­dotes, l’appétit de vie et la joie de trans­mettre un savoir-faire qui accom­pagnent le lec­teur au gré des outils pré­sen­tés : le voca­bu­laire, les adverbes, la thé­ma­tique, l’histoire, l’intrigue les recherches…

En inter­ro­geant le lan­gage au même titre qu’un Sty­ron ou un DeLillo, King esquisse une sorte d’autobiographie (sans faire l’économie de la sui­ci­daire spi­rale de l’alcool et de la drogue où il a puisé pen­dant plus de douze ans) ; convie cha­cun à rien de moins qu’à un véri­table ate­lier d’écriture, avec à l’appui exemples concrets et tra­vaux diri­gés !
On apprend beau­coup dans ces pages qui rendent hom­mage aux Ele­ments of Style de W. Strunk & E.B White, sur la genèse de son œuvre mar­quée par la S-F et l’horreur, sur l’origine de ses per­son­nages prin­ci­paux mais aussi, plus uni­ver­sel­le­ment, sur l’art d’écrire tout court. Écrire, un acte “télé­pa­thique” qui n’a rien à voir avec une quel­conque “île des Idées” ou une “vul­gate mys­tique” à laquelle s’abreuveraient les King, Gri­sham et autres Clancy, puisqu’il consiste sur­tout, au-delà de l’inspiration, à l’application métho­dique des règles inhé­rentes au “bou­lot” décrit ici.

Écri­ture: Mémoires d’un métier explique à mer­veille, dans ce che­mi­ne­ment, toute la dif­fi­culté qui consiste à “mettre en mots des véri­tés éprou­vées sur le plan de l’instinct.” Entre conseils pra­tiques et sagesse vague­ment désa­bu­sée, ce traité ne manque pas de taqui­ner comme il se doit l’apprenti-écrivain : car enfin “le moment le plus redou­table est celui qui pré­cède celui où on s’y met”. Avis aux amateurs.

fre­de­ric grolleau

Ste­phen King, Ecri­ture : Mémoires d’un métier, Albin Michel, 2011, 377 p. - 20,15 €.

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