L’École des femmes (Molière / Stéphane Braunschweig)

Molière à l’école du désir 

Le rideau se lève sur une salle de fit­ness où deux hommes devisent tout en péda­lant sur leur vélo sta­tion­naire. Agnès, par l’ingénieuse scé­no­gra­phie deve­nue Lolita, appa­raît der­rière une vitrine, sur son lit. Elle n’y fait rien que jouer avec un petit chat, balan­cer ses jambes comme pour rou­ler sur elle-même. Elle s’amuse. Elle tue le temps. Son ingé­nuité est redécou­verte, son corps mon­tré — sug­géré tout à la fois ambi­va­lent et naïf — par ses tenues d’adolescente : tee-shirt large, jeans ou short mou­lant.
Son for inté­rieur – inavoué tout autant qu’inattendu pour une jeune femme répu­tée sotte – nous est aussi volon­tiers pré­senté. Un sou­la­ge­ment. Horace, spor­tif pré­oc­cupé, jeune ami par alliance géné­ra­tion­nelle d’Arnolphe dont il ignore l’essentiel, tou­jours à la course et occupé de lui-même, donne le rythme. La pré­sen­ta­tion du cadre de l’action autour d’une acti­vité phy­sique : salle de sport, ves­tiaire – lieu de socia­li­sa­tion et de décharge, café de la place moderne – per­met de dyna­mi­ser l’action, d’enchaîner les scènes, les ambi­guï­tés et les quiproquos.

Le ton affirmé entendu des per­son­nages des­sine dans l’espace comme une géo­mé­trie du pou­voir. La pola­ri­sa­tion de la viri­lité, sou­te­nue par les dra­gons de ver­tus, des­sine un enca­dre­ment de plomb pour les aspi­ra­tions mutines.

Même si le tempo du début du spec­tacle sème un léger doute par sa len­teur incon­grue dans un espace dédié à la sueur et à l’effort – comme si les acteurs mobi­li­saient le temps néces­saire pour habi­ter leur per­son­nage – le pro­pos en vient à se révé­ler enle­vant suf­fi­sam­ment tôt. L’érotisation de la pièce, spec­ta­cu­laire quand Arnolphe ren­contre son désir, quand il flambe en ces cir­cons­tances où sa moi­tié trouve une hypo­thé­tique clé à sa déliai­son, per­met à la pièce de prendre toute son épais­seur. Quand il s’interroge sur les effets de son atti­tude sur Agnès et sur les mérites de l’attachement qu’elle lui porte.
L’enfermement ainsi que l’aveuglement d’une viri­lité sourde sont ques­tion­nés pen­dant que des voies de rédemp­tion se font jour. Le désir char­nel appa­raît comme vec­teur de connais­sance, il creuse un sillon fécond dans la pièce.

La scé­no­gra­phie est maî­tri­sée, elle expose des êtres tra­ver­sés par des forces qui les dépassent, comme s’ils vivaient la tra­gé­die de leurs ambi­tions. Sté­phane Braun­sch­weig livre une ver­sion alerte, réno­vée, sen­sua­li­sée du texte de Molière. Ses acteurs, notam­ment le couple Suzanne Aubert – Claude Dupar­fait, y trouvent une occa­sion rêvée, en cela admi­ra­ble­ment sou­te­nus par leurs valets, d’exprimer leur art avec allégresse.

chris­tophe gio­lito & manon pouliot


L’École des femmes

de Molière
mise en scène Sté­phane Braunschweig

Claude Dupar­fait et Suzanne Aubert photo Simon Gosselin

Avec Suzanne Aubert, Laurent Caron, Claude Dupar­fait, Glenn Marausse, Thierry Paret, Ana Rodri­guez et Assane Timbo

Scé­no­gra­phie Sté­phane Braun­sch­weig ; col­la­bo­ra­tion artis­tique Anne-Françoise Ben­ha­mou ; assis­tante à la mise en scène Clé­men­tine Vignais ; cos­tumes Thi­bault Van­crae­nen­broeck ; col­la­bo­ra­tion à la scé­no­gra­phie Alexandre de Dar­del ; lumière Marion Hew­lett ; son Xavier Jac­quot ; maquillages/coiffures Karine Guillem ; vidéo Maïa Fastinger.

Au Théâtre de l’Odéon

Place de l’Odéon, Paris 75006

01.44.85.40.40

http://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2018–2019/spectacles-1819/lecole-des-femmes

Du 9 novembre au 29 décembre, à 20h Durée 1h50

Pro­duc­tion Odéon-Théâtre de l’Europe ; copro­duc­tion Théâtre de Liège ; avec le sou­tien du Cercle de l’Odéon.

Tour­née 2019
8 et 9 jan­vier / La Cour­sive – Scène natio­nale La Rochelle
15 au 19 jan­vier / La Comé­die de Clermont-Ferrand – Scène natio­nale
29 et 30 jan­vier / Bon­lieu – Scène natio­nale Annecy
5 au 8 février / Théâtre de Liège
6 au 9 mars / La Comé­die de Saint-Étienne – Centre dra­ma­tique natio­nal
20 au 22 mars / Les Théâtres – Mar­seille
28 et 29 mars / Besan­çon Franche-Comté – Centre dra­ma­tique natio­nal
23 au 26 mai / Théâtre Dijon Bour­gogne – Centre dra­ma­tique national

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