Le rideau se lève sur une salle de fitness où deux hommes devisent tout en pédalant sur leur vélo stationnaire. Agnès, par l’ingénieuse scénographie devenue Lolita, apparaît derrière une vitrine, sur son lit. Elle n’y fait rien que jouer avec un petit chat, balancer ses jambes comme pour rouler sur elle-même. Elle s’amuse. Elle tue le temps. Son ingénuité est redécouverte, son corps montré — suggéré tout à la fois ambivalent et naïf — par ses tenues d’adolescente : tee-shirt large, jeans ou short moulant.
Son for intérieur – inavoué tout autant qu’inattendu pour une jeune femme réputée sotte – nous est aussi volontiers présenté. Un soulagement. Horace, sportif préoccupé, jeune ami par alliance générationnelle d’Arnolphe dont il ignore l’essentiel, toujours à la course et occupé de lui-même, donne le rythme. La présentation du cadre de l’action autour d’une activité physique : salle de sport, vestiaire – lieu de socialisation et de décharge, café de la place moderne – permet de dynamiser l’action, d’enchaîner les scènes, les ambiguïtés et les quiproquos.
Le ton affirmé entendu des personnages dessine dans l’espace comme une géométrie du pouvoir. La polarisation de la virilité, soutenue par les dragons de vertus, dessine un encadrement de plomb pour les aspirations mutines.
Même si le tempo du début du spectacle sème un léger doute par sa lenteur incongrue dans un espace dédié à la sueur et à l’effort – comme si les acteurs mobilisaient le temps nécessaire pour habiter leur personnage – le propos en vient à se révéler enlevant suffisamment tôt. L’érotisation de la pièce, spectaculaire quand Arnolphe rencontre son désir, quand il flambe en ces circonstances où sa moitié trouve une hypothétique clé à sa déliaison, permet à la pièce de prendre toute son épaisseur. Quand il s’interroge sur les effets de son attitude sur Agnès et sur les mérites de l’attachement qu’elle lui porte.
L’enfermement ainsi que l’aveuglement d’une virilité sourde sont questionnés pendant que des voies de rédemption se font jour. Le désir charnel apparaît comme vecteur de connaissance, il creuse un sillon fécond dans la pièce.
La scénographie est maîtrisée, elle expose des êtres traversés par des forces qui les dépassent, comme s’ils vivaient la tragédie de leurs ambitions. Stéphane Braunschweig livre une version alerte, rénovée, sensualisée du texte de Molière. Ses acteurs, notamment le couple Suzanne Aubert – Claude Duparfait, y trouvent une occasion rêvée, en cela admirablement soutenus par leurs valets, d’exprimer leur art avec allégresse.
christophe giolito & manon pouliot
L’École des femmes
de Molière
mise en scène Stéphane Braunschweig
Claude Duparfait et Suzanne Aubert photo Simon Gosselin
Avec Suzanne Aubert, Laurent Caron, Claude Duparfait, Glenn Marausse, Thierry Paret, Ana Rodriguez et Assane Timbo
Scénographie Stéphane Braunschweig ; collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou ; assistante à la mise en scène Clémentine Vignais ; costumes Thibault Vancraenenbroeck ; collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel ; lumière Marion Hewlett ; son Xavier Jacquot ; maquillages/coiffures Karine Guillem ; vidéo Maïa Fastinger.
Au Théâtre de l’Odéon
Place de l’Odéon, Paris 75006
01.44.85.40.40
http://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2018–2019/spectacles-1819/lecole-des-femmes
Du 9 novembre au 29 décembre, à 20h Durée 1h50
Production Odéon-Théâtre de l’Europe ; coproduction Théâtre de Liège ; avec le soutien du Cercle de l’Odéon.
Tournée 2019
8 et 9 janvier / La Coursive – Scène nationale La Rochelle
15 au 19 janvier / La Comédie de Clermont-Ferrand – Scène nationale
29 et 30 janvier / Bonlieu – Scène nationale Annecy
5 au 8 février / Théâtre de Liège
6 au 9 mars / La Comédie de Saint-Étienne – Centre dramatique national
20 au 22 mars / Les Théâtres – Marseille
28 et 29 mars / Besançon Franche-Comté – Centre dramatique national
23 au 26 mai / Théâtre Dijon Bourgogne – Centre dramatique national